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| L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] | |
| Auteur | Message |
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| Sujet: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Sam 19 Mai - 11:44 | |
| « Il y a du bruit, il y a des bruit, il y a du bruit, il y a du bruit, Une petite musique, une petite musique, une petite musique, Ils en rient, ils en rient, ils en rient, ils en rient, Mais de qui ? Mais de quoi ? Nami... moi ? » Numa percevait les conversations de ses confrères, derrière la porte de son atelier. Leurs voix graves pénétraient ses oreilles, sans pourtant entrer dans son esprit, ce n'était qu'un bourdonnement tellement familier qu'il n'y faisait plus attention. C'était comme l'odeur de souffre qui embaumait les usines, comme le parfum de fumée qui se répandait toujours dans les couloirs, Numa en avait pris l'habitude, et n'y portait plus aucun intérêt. Cet endroit ne l'atteignait plus dans son sinistre, comme il ne le terrifiait plus de sa grandeur. Il avait appris au fil des années à s'orienter parmi les longs couloirs froids et sombres, éclairés par des fenêtres salies par le temps, et les gaz qui s'échappaient en continu dehors. De même qu'il ne s'inquiétait pas de rarement voir les rayons du soleil passer à travers ces murs épais, ces doigts jaunes ne s'aventuraient presque jamais dans l'atelier puant la suie.
Cet endroit n'était pas sain, la santé y devenait fragile à force de fréquenter les produits chimiques, le cerveau y perdait raison à cause des expériences ratées qui se multipliaient souvent, de même que la folie humaine embrassait souvent les scientifiques amoureux de leur art. Un autre monde, différent de l'Empire, différent de la noblesse amoureuse du stupre et du luxe, un monde éloigné du fanatisme religieux, un monde où l'amour pour les corps articulés était une banalité. Les Ingénieurs ne pensaient pas comme les autres, pour eux, l'homme n'était qu'un excellent cobaye qui attisait les curiosités les plus morbides. Numa n'échappait pas à cette règle, et c'était pour cela qu'il donnait autant d'énergie à parfaire ses automates. Son nom résonnait dans les conversations, mais on taisait son regard dément, et sa démarche grotesque. On oubliait que ce n'était qu'un enfant qui trouvait intéressant de donner vie à un objet de métal et de fil, qui s'amusait à briser entre ses doigts tremblants les jouets, et qui regardait dans leur ventre de quoi ils étaient composés. Il avait posé une fois sa tête sur le sein de la Mort, et il n'avait plus bougé dès lors, sans apaiser son âme de ses passions sulfureuses. On allait et venait dans la pièce, on murmurait quand on l'examinait, et seul son mentor venait le voir pour étudier les gestes maladroits du garçon. Thuomas était celui qui l'avait tiré de la misère, il avait fait du gamin bègue et maigre un jeune homme vif et précieux dans ses recherches, sans pourtant avoir obtenu un mot de remerciement pour tout ça. Sans doute qu'au fond, ni lui ni Numa n’en avaient besoin.
Thuomas lui assura d'ailleurs de sa voix calme et grave qu'il avait fait une bonne impression, lors de la convention des sciences, et sachant que son élève cherchait à gravir l'échèle pour donner à sa soeur une bonne place dans la société, il lui affirma pour l'encourager que quelques nobles viendraient rapidement le voir. Concentré, Numa fit comme réponse un simple signe de tête, pendant que la créature prenait forme entre ses doigts. Thuomas eu un geste dans l'air, imitant une tape dans le dos qu'il aurait sans doute aimé donner au garçon, mais connaissant la peur maladive de ce dernier pour les contacts, il n'en fit rien, et s'éloigna. Numa leva la tête, et ajusta la lumière pour repérer au mieux l'opération qu'il était en train de faire, la bouche ouverte. Dehors, les conversations se transformèrent en murmure, et les pas de ses comparses lui indiquèrent que le silence ne tarderait pas à revenir. Une lueur passa dans ses yeux ocre, quand il se prit soudain à fantasmer sur sa soeur ; un fantasme sans érotisme... ou presque, où il imaginait le sourire de sa jumelle lui accordé un peu d'amour et de fierté, devant ces créatures de métal qu'il travaillait sans cesse. Il recherchait à créer un être humain parfait, un être humain qui ne le battrait pas, et qui donnerait à sa soeur la force d'avancer, la protégeant de tout. Au début, l'adolescent avait songé à créer un corps pour Houle, mais rapidement, la jalousie avait empoisonné son coeur, et il en voulait à ce monstre de tissus. Il devait créer « quelque chose » qui surpasserait Houle, et lui rendrait Nami.
Soudain, on frappa à la porte, mais Numa ne se retourna pas, trop occupé. Un léger filet de lumière filtra pourtant, il avala sa salive, et au ton poli qu'employait la femme ingénieure, Numa comprit qu'on lui « apportait » une personne « normale ». Il eu peur, peur de s'enfoncer dans son ridicule, et néanmoins, il jeta un regard à l'homme qui se tenait sur le seuil. Il ne s'excusa pas pour le bordel monstre qui s'éparpillait dans la pièce, ni pour l'odeur, ni pour les pièces détachées de poupées qui traînaient partout. Il se contenta de poser ses mains sur ses genoux maigres, le dos légèrement voûté, la tête penchée un peu en avant, il leva son regard vers l'inconnu. Il avait ouvert la bouche, mais sa voix ne sortit pas de sa gorge, malgré sa volonté de dire clairement pour une fois : « Bonjour, que désirez-vous ? »—... ? |
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| Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Mar 22 Mai - 21:15 | |
| Ce matin-là, Arthur émergea de son sommeil avec la sensation d'avoir dormi au sol, au milieu des rochers de Fintasy. Tout son corps lui faisait mal, et ses tempes pulsaient douloureusement, ainsi que de petits animaux pris au piège. Comme il avait de nombreuses choses à faire en ces premiers jours à la capitale, il se refusait néanmoins à retarder plus longtemps son lever. Il s'extirpa donc tant bien que mal de son lit trop moelleux, manqua trébucher sur les draps, s'étira dans un long bâillement et, se grattant paisiblement l'entrejambe, alla se préparer à remplir ses dignes activités d'aristocrate ishtarien. Il avait prévu, depuis la veille déjà, de rendre visite à quelque jeune ingénieur, apparemment talentueux, dont il avait entendu parler : échos de couloirs, de salons, qu'il avait saisis sans en donner l'air, et emportés avec lui, cachés sous un sourire. Il connaissait encore trop peu cette ville pour attendre qu'on vienne, par générosité, lui glisser dans l'oreille ce qu'il devait savoir ; alors il tendait de lui-même cette oreille, et y recueillait les rumeurs, ce bruit si précieux pour qui veut, sans avoir à poser de questions, se renseigner sur tout. S'il n'avait ainsi pas pu se rendre lui-même à la Convention des Sciences, il avait glané de ceux qui en respiraient l'odeur toutes les informations qu'il lui fallait. Comme il ajustait sa tenue, devant la large glace de son boudoir, il songea aux avancées de sa frénétique recherche de liens utiles et valorisants – pour l'instant assez limitées – et aux projets qui s'esquissaient, de plus en plus nombreux, de plus en plus précis. L'excitation de cette vie nouvelle ne le quittait pas. Elle ne s'ébranla pas, mais laissa un moment la place au dégoût, quand les premiers relents des usines heurtèrent les sensibles narines d'Arthur, trop habituées à la pureté de l'air de Fintasy. Son séjour à la capitale devrait-il donc irrémédiablement se retrouver sous le signe de la puanteur ? Les marais, à présent ça... Il espérait en tous cas que le talent qui l'avait mené jusqu'ici en valait bien la peine. Après avoir hésité à demander son chemin à plusieurs ouvriers dont l'air maussade ne lui disait rien, il finit par aborder une ingénieure qui accepta de le guider jusqu'au 'Numa' qu'il était venu rencontrer. Il traversa les couloirs sordides à sa suite, tâchant de vaincre la répulsion qu'il ressentait pour l'endroit, laquelle il sentait ramper sur sa peau en désagréables frissons. Heureusement, son garde du corps – une acquisition récente – ne le quittait pas d'une semelle. Enfin ils arrivèrent devant la pièce – l'atelier ? – où, espérait-il, il trouverait de quoi rehausser sa position. Son père avait toujours soutenu la Science, et c'était elle, au fond, qui l'avait hissé là où il était aujourd'hui ; lui croyait bien avoir hérité sa faculté à repérer les éléments prometteurs, et ne doutait pas un instant que cette route, qui avait jusque là si bien fonctionné pour sa famille, lui soit tout autant favorable. C'est donc muni d'un bel optimiste, qu'il laissa fleurir en un large sourire sur ses joues, qu'il pénétra dans le lieu sombre et peu ragoûtant. Les deux – sourire et optimisme – tanguèrent quelque peu lorsqu'il eut pu prendre conscience de toute la crasse qui s'étalait alentour, tous ces débris sans forme qui contrastaient tant avec les laboratoires propres et bien arrangés que son père avait fait construire à Fintasy. L'ingénieur lui-même, ce garçon frêle et silencieux, ne lui disait rien qui vaille. Il fut tenté de faire demi-tour sans attendre, mais se retint. Parce qu'il était venu jusque là, autant voir de quoi il retournait ; et puis il sentait poindre, malgré tout, une curiosité pour le personnage et son étrange travail. « Savez-vous, jeune homme, qu'on dit beaucoup de bien sur vous depuis la Convention ? lança-t-il donc tranquillement après un moment. Ça n'était qu'un demi-mensonge... non ? Il a fallu que je vienne voir ça de moi-même – et pourtant j'arrive juste de Fintasy, vous devinez la densité de mon emploi du temps. » Ce mensonge-là, en revanche, bien entier et bien gras. Arhut fit quelques pas dans la pièce, écartant du bout du pied les objets non identifiés qu'il risquait d'écraser. Il ne s'assit pas – non qu'il attende qu'on l'invite, il n'avait plutôt guère confiance en la propreté des sièges – mais resta debout, les mains distraitement dans le dos. Comme le silence de son interlocuteur menaçait de le mettre mal à l'aise, il ajouta rapidement : « Écoutez, je n'irai pas par quatre chemins. Je suis à la recherche de jeunes talents à promouvoir – appelez cela philanthropie – et je viens aujourd'hui vérifier si la pierre brute mais prometteuse que la rumeur fait de vous mériterait pour se raffiner l'aide que je suis prêt à offrir. Il me semble que vous pourriez en profiter... » Vu le trou puant où tu travailles. Il laissa passer quelques instants, en se donnant l'air généreux. « J'aimerais donc que vous me parliez en détail de votre art, qui, croyez-le, m'intéresse au plus haut point. » [ PS : Je me suis permis de considérer que Numa se taisait pendant tout ce temps, mais si ça te dérange, je changerai bien sûr sans problème ♥ ] |
| | | | Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Mar 22 Mai - 22:03 | |
| [Hj : Non, c'est parfait :) ]Numa garda les sourcils froncés, légèrement frémissant, quand l'inconnu entra dans son atelier. Sa main sur son genou se crispait, et comme le reste de son corps, elle tremblait. Mais ce n'était pas le même tremblement que tout à l'heure, quand il devait simplement subir les allées et venues de son mentor, c'était un tremblement plus brut. Il n'en était pas encore à la crise d'angoisse, mais la présence de cet homme le mettait mal à l'aise. Comme toujours, lorsque le garçon devait rencontrer quelqu'un, et que l'autre ne paraissait pas informer par son handicap. Parfois, il ouvrait la bouche, le regard mauvais, mais l'espoir de balancer quelques paroles bien là, sans jamais naître. Et la refermait, s'enfonçant dans son silence, croyant que c'était ici le meilleur moyen d'agir. Moins il parlait, moins il se donnait en spectacle. Il avalait souvent sa salive, le dos vouté, on pouvait à peine deviner sous la cape qu'il portait la maigreur de ses os, mais la peau qui tirait et tressaillait sur son cou pouvait informer de son état.
Son oeil ocre, fébrile, nerveux et apeuré, fixait les moindres faits et gestes de l'homme. Il ne faisait pas attention à celui qui le suivait, même s'il ne se sentait pas en sécurité. Numa avait la désagréable impression qu'on était venu souiller son territoire, ce joyeux bordel poussiéreux et puant venait d'être piétiné par le noble. Mal à l'aise, il ne se leva pas, comme il n'attendit pas que l'autre lui tende la main. Il l'étudiait, comme un animal en cage qui étudiait son dresseur. L'homme était son exact opposé, c'était le détail le plus remarquable qu'il notait ; grand, brun, calme et souriant. Bien habillé, Numa ne devinait pas encore qu'il avait été « comme lui », et qu'il tentait de la même manière que lui à être présentable en toute occasion. Il ne réagit pas face aux compliments, car seuls ceux de sa soeur enflammaient son coeur, et le rendaient joyeux. Il ne savait pas si l'autre était sincère, surtout. L'homme imposait, en tout cas, par son attitude, par son charisme, et Numa se sentit rapidement écrasé. Il garda son malaise pour lui, malgré son corps tremblant, et il chercha pas à prendre la parole. Jusqu'au moment où l'autre attendait une réaction.
« Peur, peur, j'ai peur ! J'ai peur ! Dire... dire... quelque chose, dire quelque chose, dire quelque chose, Je ne peux pas parler, je ne peux pas parler, je ne peux pas parler ! Nami... Nami... Nami... Nami ! Pourquoi n'es-tu pas là pour parler à ma place ? » Le coeur de Numa frappa contre sa poitrine, son estomac se noua, comme si une main venait de le saisir pour le serrer de toutes ses forces. Numa se vouta plus, la main sur son genou eu un sursaut nerveux avant de se reposer, sans reprendre un semblant de placidité. Qu'importe ses efforts, il tremblerait toujours, et ainsi, le gamin ne ressemblait à rien. Il faisait peine à voir, et c'était tout, malgré ses vêtements de parvenus et entretenus. Il aurait aimé se lever, tendre la main vers l'homme pour mieux s'enfuir, mais Thuomas lui avait expliqué une fois que ce n'était pas comme ça qu'un homme agissait. Néanmoins, jamais Numa ne se sentait « homme ». Jamais.
Maladroitement, l'Ingénieur se tourna vers la petite poupée de métal et de fil qu'il était en train de concevoir. Il la désigna du menton à Arthur, chose rare, car Numa faisait ici un effort : il lui donnait l'autorisation non pas de la toucher — Nami seule y avait droit —, mais de s'approcher un peu pour l'avoir. Le stress du jeune homme étant palpable, il ne préférait pas la prendre dans sa main, au risque de la briser. Il avala encore sa salive, la gorge sèche, et il ouvrit la bouche. Il la garde un moment ouverte, paraissant sur le point de s'écrouler à chaque instant, il prit une grande inspiration. Il la bloqua, angoissé à l'idée que l'autre puisse entendre son handicap trop prononcé, et que jamais il n'avait cherché à corriger. Nami parlait pour lui, Nami savait ce qu'il voulait, Nami était sa voix. Mais Nami n'était pas là.— ...Silence. Numa ferma les yeux un instant, et quand il posa de nouveau son regard sur Arthur, une lueur d'animal blessé dansa dans ses prunelles. Il parodia des salutations de sa verve frémissante, et de sa voix aigre :— Je... j-j-j-j-je... ffffff-fe-fais... de... des au-au-au...tomates. C-c-c-ke-ke-comme un... un... un ge-ge-genre ... de... de de... jo-jo-jo-jouet... ! Numa poussa un soupir, un soupir blasé et blessé par ses propres mots. Il aurait aimé être plus vivant, décrire ce qu'il faisait, habité par sa passion. Mais rien. Rien. Juste le ridicule qui une nouvelle fois lui arrachait des mots méritant d'être entendus. Et son désarroi augmenta, quand il songea déjà au rire grave de l'homme qu'il pensait bientôt entendre. |
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| Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Jeu 24 Mai - 18:11 | |
| L'importance que se donnait Arthur, dans cette pièce miséreuse où le talon de ses bottes valait sans doute davantage que la moitié des meubles, lui plaisait d'autant plus qu'elle lui semblait la promesse, formulée par les profondeurs d'Ishtar, de celle qu'il ne manquerait pas de prendre à la surface. Il ne se souciait pas que la déférence dont faisaient preuve envers lui les ouvriers et autres bouts de peuple dépende de leur condition à eux bien plus que de la sienne, ni que l'argent seul en soit la cause : justement il était l'argent, devenait dans la pauvreté de ces lieux l'allégorie de sa propre fortune. À cet égard il méritait parfaitement tout le respect, même feint, qu'on lui témoignait, et qui ne manquerait pas de le suivre, traîne soyeuse, jusque dans les hautes sphères. C'est tout gonflé de cet orgueil qu'il se pavanait dans l'atelier, quoique ne l'affichant qu'à peine – juste assez pour se donner la contenance et la hauteur digne de sa noblesse, tout en demeurant accessible aux... petites gens. Du moins le croyait-il avant de s'apercevoir de la nervosité maladive qui donnait au jeune ingénieur l'air de s'apprêter à tomber au sol et de s'y casser. Mais ça aussi lui convenait : l'autre serait sans doute moins dur en affaire. Il s'approcha, comme on sembla l'y inviter, et découvrit l'objet sur lequel devait travailler l'ingénieur, auquel il n'avait jusque là pas fait attention, le prenant pour quelque jouet laissé là comme un confort. En se penchant légèrement, il détailla la chose, incertain encore de sa nature – les rumeurs n'avaient pas tout précisé des inventions du jeune Numa. Il ne la toucha pas, par soucis de propreté, mais s'interrogea silencieusement. Était-ce une marionnette ? Ou juste une poupée, d'un style un peu trop cru à son goût ? Comme il ne voulait pas révéler l'origine si floue de ses informations, il ne posa pas de question, mais prit un air de connaisseur intéressé. Il attendait que l'artiste s'explique de lui-même. Et regretta cette exigence dès qu'elle fut satisfaite. Son étonnement fut si grand, sur le coup, qu'il se peignit sans ambiguïté sur son visage sans qu'il ait pu le retenir. Lui qui se flattait d'ordinaire d'une maîtrise faciale à toute épreuve... ! Il se reprit comme il put, mais quelques secondes trop tard, et écouta le reste de la pénible phrase avec une attention polie, comme si de rien n'était. Le premier sentiment qui lui vint fut de la honte. Pas par rapport au bègue lui-même, pas comme une gêne du plus favorisé devant un infirme, mais de manière bien plus égoïste, à cause, tout simplement, de son manque d'information quant à cette condition. Il était venu là, avait adressé la parole au garçon, démontrant ainsi à tous son ignorance. Avoir été ainsi pris par surprise le mettait dans une situation absolument inconfortable, presque de faiblesse, qui le blessait plus encore puisque, étant nouveau à la capitale, il prenait à cœur de se prétendre à l'aise partout. Décidément, il détestait ça. Puis il y eut de la pitié pour ce gamin décidément peu chanceux, à qui la nature n'avait pas trouvé la misère comme fardeau suffisant. Il n'aimait pas cela davantage, car c'était là sensiblerie qui, songeait-il avec cynisme, n'aidait pas les affaires. Il tâcha donc de l'ignorer. Un léger toussotement, pour évacuer la gêne. Il hésita un instant, puis décida de ne poser que des questions n'attendant pas de développement, auxquelles répondre en « oui » ou « non ». Ou, mieux encore, ne réclamant que démonstrations. « En auriez-vous une de terminée à faire fonctionner pour moi ? » |
| | | | Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Jeu 24 Mai - 21:28 | |
| L'homme lui épargna les rires, à sa grande surprise. L'étonnement se peignit quelques secondes sur le visage du brun, Numa pu y lire ainsi un peu de regret. Il ne saisit pas pourquoi, incapable de comprendre les sentiments humains, il se replia sur lui-même autant que la décence lui permettait. Il ferma aussitôt la bouche, l'oeil fixé sur Arthur, toujours, fouillant dans la gravité de son expression ce qu'il pensa de lui. De lui, et de ses paroles découpées par son bégaiement. Il ferma lentement son poing, ses doigts se plièrent, crispés et raides. Le corps tendu, le garçon paraissait être sur le point de s'enfuir à tout instant, et l'aurait certainement fait, si son mentor ne lui avait pas inculpé quelques bribes d'éducation. On pouvait noter le sursaut qu'il avait fait, quand Arthru s'était approché pour examiner son automate, comme s'il avait craint au dernier moment que l'homme levât la main sur lui. La bougie éclaira la chevelure noire de son interlocuteur, et Numa dévia son regard pour contempler un morceau de ferraille qui dépassait dans le tas au fond de la pièce, perdu dans ses pensées.
Son esprit chancelait, fatigué, et brisé par l'angoisse. Dans son poing, entre ses doigts maigres, il aurait aimé tenir la main fragile et douce de sa soeur, Nami ne pouvait pas parler pour lui. Et son mentor ne montrait pas un signe de vie, celui-ci était une grande aide, quand il s'agissait de promouvoir les oeuvres du gamin. Ses épaules tremblantes sursautèrent, quand Arthur lui demanda s'il n'avait pas une poupée terminée, Numa approuva d'un signe de tête. Il se leva en se tenant sur la table, ses jambes qui n'étaient que des baguettes tremblaient, et menaçaient de se casser quand il marchait. Il vacilla ainsi jusqu'à une armoire fermée à clef, sa cape tombait contre son corps noueux, et lui donnait l'air d'une chauve-souris qui se serait fondue sur à rat pour boire son sang.
« Voudra-t-elle danser ? Voudra-t-elle danser ? Voudra-t-elle danser ? Voudra-t-elle danser ? Je ne sais pas, et elle le sait, je ne sais pas, et elle le sait, je ne sais pas, et elle le sait, je ne sais pas, et elle le sait... Ma moitié... aide-moi ! Aide-moi, ma moitié... Ma moitié, aide-moi ! Aide-moi, ma moitié... Ta peau est du lait, ta peau est du lait, ta peau est du lait, ta peau est du lait, Du lait... que je voudrais boire, et lécher. »
Ses lèvres avaient bougé, doucement, mais sa voix n'était pas sortie de sa gorge. Ses mains se posèrent délicatement sur la porte de l'armoire, son index traça un chemin imaginaire avec aigreur, jusqu'à atteindre le verrou. Là, Numa parut se souvenir qu'il avait besoin d'une clef, et après avoir jeté un regard sombre à Arthur, il fouilla ses vêtements. Il toucha son torse mince, puis semblable à des pattes d'araignées, ses doigts glissèrent jusqu'à la poche de son pantalon. Ce fut d'un geste vif qu'il entra la clef dans la serrure, il la tourna à droite, puis à gauche.
Un grincement désagréable sonna dans son oreille, et cachant ses oeuvres à Arthur, il contempla chacun de ses automates. Il en avait de finis, et d'autre de « raté », certains étaient informes, d'autres étaient travaillés. Mouillant ses lèvres, conscient que l'homme dans la pièce pouvait être un allier de poids, Numa pris quelques minutes avant de choisir quelle chose méritait d'obtenir de l'attention. Il ferma brutalement la porte, un automate contre son torse, petit objet fragile qu'il semblait serrer dans ses bras, et chérir. Il ferma l'armoire à clef, et d'une démarche moins maladroite, il revint vers la table. Il posa avec une attentionnée douceur la poupée, cachant l'autre par la même occasion.
« Poupée »... mais ce n'en était pas réellement une, même si elle ressemblait à ces dames de porcelaines qu'il avait pu voir une ou deux fois, et qu'il aurait aimé offrir à sa soeur. Il l'avait travaillé, un joli modèle, il l'avait soigné dans son esthétique, sous la demande de la Dame. La Dame qui l'avait fait une fois venir chez elle, en pleine nuit, alors que son mari était absent, et Numa ne savait plus très bien ce qu'elle avait fait, et ce qu'elle lui avait fait faire. Il chassa ce souvenir de sa mémoire, et poussa les mèches blondes de la poupée de son front, agissant comme s'il touchait un être de chair et de sang. Sa peau était en étain, ce qui n'avait pas empêché le Maître des Automates de l'habiller d'une robe rouge comme le sang ; Thuomas seul avait compris qu'il avait tenté de reproduire une réplique mécanique de sa soeur. Elle devait servir de modèle miniature pour un projet plus ambitieux.
Numa s'écarta pour qu'Arhur puisse juger la créature, et son majeur caressa le dos de la poupée. Là, au niveau des reins, il appuya sur un bouton. La créature prit brusquement vie, elle avança raidement sur la table de quelques pas, et tourna sa tête de droite à gauche, et de gauche à droite. Elle n'avait pas d'yeux, mais elle sembla contempler Arthur, devant qui elle fit une petite révérence, produisant à chacun de ses gestes un son étrange que Numa ne parvenait jamais à définir. C'était comme un « crac », mais un « crac » qu'émettait un os cassé, une musique que le jeune homme trouvait parfois agréable, et qui souvent lui rappelait ce qu'il tentait tant à oublier.
Numa posa de nouveau son regard ocre sur Arthur, la bouche entrouverte pour dire : « voilà ».
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| Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Lun 28 Mai - 19:31 | |
| Il suivit un instant le jeune homme des yeux, presque inquiet de la faiblesse de ce maigre corps dont chaque mouvement lui semblait relever du miracle. D'une certaine manière, il ressemblait à la poupée incomplète qu'il venait de lui montrer et qui demeurait immobile, comme le cadavre d'un petit animal, allongé sur la table au milieu du fouillis. Son créateur, de même, ne lui paraissait pas fait pour marcher, mais bien plutôt pour rester assis, à ne rien faire et ne rien dire, dans quelque recoin poussiéreux d'une vieille maison où on l'aurait oublié. Ou expressément abandonné : parce qu'il avait quelque chose de sourdement malsain collé à lui, dans la misère au sein de laquelle il vivait, dans la difformité de son être que semblait esquisser sa voix – quelque chose de presque inquiétant. Arthur regrettait de plus en plus d'être venu là, se sentant le jouet, sinon d'un mauvais tour explicite, du moins de la malchance. Le malaise grimpait en lui, accrochait ses vilaines petites griffes à l'intérieur et escaladait jusqu'à sa gorge, où c'est à peine si ne naissait pas déjà une vague nausée. Alors il laissa le jeune homme au secret de ses placards, et en profita pour faire quelques pas dans la pièce, le nez en l'air, comme pour chercher du frais là où ne se trouvait pourtant que la même ambiance crasse et lourde. Il laissa son regard revenir vers la porte par laquelle il était entré, et constata que la femme qui l'avait aidé à trouver son chemin s'était retirée. Seul restait son garde du corps, stoïque et silencieux comme il se devait de l'être, en qui il ne trouva guère de réconfort. Mais au moins sa présence le rassurait. Puis il revint vers l'ingénieur, qui avait apparemment trouvé ce qu'il cherchait, et le regarda installer sa création sur la table. Voilà qui était plus attirant que l'étrange squelette de métal et de fils : une vraie poupée, de celles avec lesquelles il avait vu jouer sa sœur – même si cette dernière s'amusait davantage à tester leur solidité, avec des résultats tristement efficaces, qu'à les pouponner. Il se pencha, comme il avait fait pour l'autre, afin de détailler l'objet, mais toujours sans prétendre y ajouter les mains. Ce qui correspondait à la peau luisait d'un bel éclat, même si les infinies nuances de gris qu'elle reflétait, à l'opposé du blanc soyeux de celles dont il avait l'habitude, donnaient un air étrange, renforcé encore par la couleur si particulière de la robe qui lui semblait jurer. Mais le tout, quoique troublant, laissait une impression vivace, de majesté froide, qui attirait et dérangeait tout à la fois. Les précédentes pensées d'Arthur sur la vilenie du lieu et de ce qu'il abritait s'évaporèrent en un instant. Et disparurent définitivement quand l'automate s'ébranla et fit la démonstration de ses prouesses. Il n'avait jamais vu quoi que ce soit de ce genre, malgré la richesse de sa famille et ses étroits liens avec la Science. Peut-être n'y avait-il juste jamais prêté attention, ou peut-être Fintasy était-elle une province trop éloignée de la capitale pour avoir reçu les échos de telles créations. En parfait novice, il trouvait en tous cas la chose remarquable, et devait se retenir d'applaudir à tout rompre en gloussant. Dans cet état d'esprit, il était prêt à promettre monts et merveilles à ce pauvre garçon qu'il ne pouvait désormais voir autrement que comme un véritable artiste, et à lui acheter une cargaison de pareils bijoux. Mais les Fitzgelli ont le sens des affaires. Alors il tâcha de calmer l'émerveillement qui naissait sur son visage, toussota pour se reprendre, et c'est tout sérieusement qu'il complimenta le talentueux : « Vous faites du beau travail, je vous félicite. » Puis il fit mine de continuer à inspecter l'œuvre sous ses yeux pour se donner le temps de réfléchir. Quelle certitude avait-il que cet automate si incroyable pour lui ne soit pas médiocre pour Ishtar et les habitués des merveilles de la cour ? Les deux hommes dont il avait surpris la conversation ne semblaient pas considérer les créations du jeune ingénieur comme des jouets de pacotille ; mais qu'en était-il des plus nobles, des plus riches, qu'en était-il de l'Empereur ? Plus important : qu'aurait-il, lui, à gagner de quelques pantins, aussi perfectionnés soient-ils ? Non, s'il voulait faire parler de lui, s'il voulait faire sensation, il faudrait plus. Beaucoup plus. Il se releva lentement et planta à nouveau ses yeux sur Numa, une lueur au fond du regard. « Pourriez-vous faire... plus grand ? » |
| | | | Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Lun 28 Mai - 22:31 | |
| « Des mots, des mots, des mots, des mots, Il me dit des mots. Je ne peux rien dire, je ne peux rien dire, je ne peux rien dire, je ne peux rien dire. Me lire ? Peut-il me lire ? Me lire ? Me lire ? » Numa approuva d'un signe de tête les paroles d'Arthur, il ne savait pas réellement s'il était touché par son compliment. Il savait que l'homme reconnaissait son talent, mais ça s'arrêtait ici, une simple prise de conscience. Son regard tomba sur la petite poupée qui continuait de marcher, en émettant des sons toujours aussi désagréables, elle leva la main vers Arthur, et pivota vers son maître. Numa avança ses doigts tremblent vers la poupée, il toucha sa chevelure, puis sa peau, et attendit qu'elle lui tourne sur le dos pour appuyer sur un bouton, et l'éteindre. Elle tomba à genoux, faible petite chose, animée par la volonté du Bègue. Mordant ses lèvres, les léchant aussi, Numa reprit la créature dans ses bras, et la tint contre sa maigre poitrine. Il ne l'étreignit pas, il la garda contre lui, tout en observant Arhtur qui laissa une seconde fois la surprise se dessiner sur sa figure. Son malaise venait de voler en éclat, mourant pour que le contentement naisse à son tour ; Numa était plutôt rassuré de voir que l'homme oubliait son défaut de parole, et se concentra sur lui. Ses yeux continuaient de bouger, vifs, se posant parfois sur le nez d'Arthur, puis sur ses lèvres, et enfin sur ses bras pour examiner le mouvement de ses épaules, lorsqu'il articulait des mots que Numa se montrait incapable de prononcer. Il ouvrit la bouche, et caressant les cheveux de la poupée, il baissa les yeux sur les chaussures d'Arhtur. Perdu, il tentait de trouver une solution à son problème : on lui demandait ses services, et pour conclure un contrat, il devait se servir de sa bouche. Il passa sa langue sur ses lèvres, puis il remonta doucement son regard sur les jambes d'Arthur, sa taille, son torse, et enfin son visage qu'il étudia avec intensité. Dans ses pensées, le garçon enregistra pourtant l'information ; Arhtur était ravi de son invention, mais il en voulait une plus imposante. C'était par ailleurs l'un de ses objectifs, une créature de sa taille, capable de frapper et de parler correctement. Il avait quelques idées de la façon dont il devait la façonner, mais tout ceci lui prendrait de longs mois de travail, et Arthur ne paraissait pas être en mesure d'attendre. Numa pouvait sentir que cet homme cherchait quelque chose, ici, à Ishtar, et le ton qu'il avait employé pour le féliciter disait : « je veux impressionner ». Toutefois, Numa hocha encore la tête, et fit encore une tentative pour former des mots avec sa bouche : — O...o-o-oui... dè-dè-dè-de-des... m-m-mois... v-v-v-va... m-m-me prr-prr-prr-prrendre. Numa poussa un soupir, léger, et essaya de faire la lourde abstraction de son ridicule. Il ne voulait pas revoir le malaise saisir Arhtur, et désirant le lui faire oublier, il reposa la poupée sur la table. Son corps toujours tremblant, il s'avança vers le fond de la pièce, plongé dans la pénombre. Son pied claqua contre un bout de métal, ce qui manqua de peu de le faire tomber, il posa une main gantée sur son mur. Penché, il leva les yeux vers sa droite, et ses doigts caressèrent le mur, il traça plusieurs lignes imaginaires jusqu'ç rencontrer un bout de parchemin. Il fronça les sourcils, puis décrocha le plan qu'il inspecta, et se retourna vers Arthur. Il balança du bout du pied une barre de fer, puis se laissa tomber sur la chaise, et tendit le plan à Arthur.
Ca représentait une sorte d'être humain, un homme avec les bras en croix, chauve. On pouvait voir une ligne aller de sa tête à ses orteils, prés de laquelle une écriture en patte de mouche avait inscrit : « 180 centimètres », diverses représentations des organes avec de nombreuses annotations. Si on s'attardait un peu plus sur le corps du dessin, on pouvait remarquer la présence de noms de matériaux qui serviraient à le faire fonctionner. On pouvait peiner à traduire l'écriture de Numa, le crayon avait noirci la feuille de tout genre d'idée, sa main tremblante avait tracé quelques esquisses des membres du futur automate. Numa présentait là, à Arthur, son projet le plus ambitieux.
Toutefois, ce qu'Arthur ne pourrait pas savoir, ou même deviner, c'était la façon dont le garçon comptait réaliser cette créature. Il était persuadé qu'en usant de certains composants « humains », il pourrait parvenir à lui donner vie. Mais ce n'était pour l'instant qu'un fantasme, et le garçon réfléchissait toujours à ce « comment ». Ce qu'il voulait pour l'instant, c'était impressionner Arthur. Et lui faire oublier ses tentatives minables pour « parler », et être un homme.
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| Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Ven 1 Juin - 12:53 | |
| Cette fois, Arthur parvint à garder son visage impassible alors que les paroles du jeune homme s'étendaient dans leur difformité. La gêne était toujours là, mais en présence diffuse, comme une caresse dans le dos, déjà prête à s'évaporer. Et elle ne s'attarda pas, en effet, quand la signification derrière le bégaiement eut atteint sa conscience. Bien sûr, il faudrait du temps. Tant pis, il était prêt à attendre tant qu'il faudrait. Ou même plutôt : tant mieux. Tandis que se construirait ce projet, il en profiterait pour se gratter déjà une place dans la société d'Ishtar, faire connaître son nom, afin qu'une fois associé au spectacle que donneraient à l'Empereur les créations de Numa, il soit autre chose qu'un mot trop vite oublié. Il se rendit compte qu'il en était déjà à concevoir, non plus comme une possibilité mais comme une certitude, de prendre sous l'aile de sa fortune l'art si particulier de l'ingénieur. Exactement le genre de coup de tête contre lesquels son père l'avait tant de fois mis en garde. Il songea un instant à se laisser plus de temps, à ne donner qu'une réponse vague et y penser plus en profondeur une fois au calme, une fois passé ce premier émerveillement. Mais abandonna rapidement. Après tout les conseils de son père valaient surtout pour Fintasy : ici, à la capitale, les choses allaient trop vite, et il regretterait amèrement d'avoir laissé lui échapper ce talent si dès le lendemain quelque autre bienfaiteur venait le cueillir à sa place. Et puis il se fiait assez à son jugement. Il se contenterait donc de paraître stoïque, afin de faire bonne mesure, mais ne différerait rien. Il reporta son attention sur Numa, qui revenait déjà, dans un tintement de fer. Dur de croire qu'il allait confier tant à un être si... insignifiant. Mais ses derniers doutes s'envolèrent définitivement dès qu'il eut posé les yeux sur le plan. Il ne s'y connaissait pas assez, bien sûr, pour comprendre toutes les subtilités de la chose, mais suffisamment pour se rendre compte du travail qui en appuyait l'ambition. Il se perdit un instant dans la contemplation du dessin, tournant précautionneusement le parchemin afin de mieux lire les plus petites indications. Ce faisant, son visage se fleurit, bien malgré lui, d'une sincère béatitude. Au temps pour le stoïcisme. « Et que ferait-il, celui-là ? » La question lui avait échappé dans son enthousiasme, et il la regretta l'instant où elle franchit ses lèvres – il ne voulait infliger ni au bègue ni à lui-même l'inconfort d'une longue réponse. Il se reprit donc avant que l'autre n'ait même eu le temps d'ouvrir la bouche : Et il entreprit de parcourir à nouveau la pièce, presque avec frénésie, ayant soigneusement rendu le plan à son créateur, tout à son excitation qui justifia du coup ses contradictions. C'est qu'il venait de voir, en train de prendre vie entre les lignes du schéma, une éventualité aussi saugrenue qu'affriolante. Un automate à taille et à figure d'homme : comment ne pas y voir plus qu'un simple jouet, beaucoup plus qu'un simple moyen de distraction pour la Cour, comme il l'avait d'abord imaginé ? Il ne savait rien des réels projets de l'ingénieur, mais déjà il les gonflait de ses propres fantasmes. Et si cette poupée à taille humaine qu'il voulait construire pouvait être dotée, sinon d'une parfaite autonomie, du moins d'une faculté d'adaptation à un certain nombre de tâches ? Si la puissance de sa machinerie pouvait imiter les mouvements humains, et les reproduire autant de fois qu'on le désirerait ? Il n'y avait alors qu'un pas à oser franchir avant de voir se superposer les traits figés de l'automate à l'air trop humain des esclaves. Il avait trouvé là, enfoui sous la misère du lieu, le point de départ d'une révolution, l'incroyable moyen de réconcilier, au moins en partie, l'Église et la Science. Plus besoin d'Objets, s'ils pouvaient être remplacés par autant d'ouvriers de métal ; et ce n'était plus jouer avec la vie, si seul l'ingénierie les faisait fonctionner, si rien d'humain n'entrait dans leur composition. Arthur se voyait déjà propulsé à des hauteurs dont la pensée même lui donnait le vertige. L'idée que ce principe ait déjà été étudié, voire soit en train d'être conçu, ailleurs, qu'il soit tout bonnement impossible à réaliser ou encore que les organes du dessin de Numa ne soient pas entièrement mécaniques – l'idée de tous ces obstacles ne lui effleura pas l'esprit. Trop exalté, ivre d'une réussite qu'il imaginait déjà trop en détails, il ne céda nulle place au pessimisme, et laissa l'effervescence de son ambition troubler jusqu'à son raisonnement. Trop extatique pour s'en soucier. Il revint d'un pas enjoué vers l'ingénieur et, oubliant tout soucis de crasse dans sa bonne humeur, se laissa tomber sur une chaise. Son fessier aurait tout le temps de le regretter plus tard. « Vous aurez tous les moyens, matériel et assistants, pour avoir fini dans trois mois. fit-il d'un ton auquel il voulu rendre son sérieux, mais où perçait toujours son agitation. Il se souciait peu de la démesure de ses impératifs. J'aurai quelques exigences... que je vous transmettrai en temps voulu. » Il voulait surtout éviter d'avoir à en discuter à l'oral. Comme il lui restait tout de même, non encore parfaitement noyé dans l'aveuglement de son excitation, un peu de réalisme, il voulut vérifier si son entreprise n'était pas trop folle, s'il existait au moins un espoir de voir aboutir ce projet. Mais il était déjà trop convaincu, dans sa propre ignorance scientifique, pour laisser un quelconque scepticisme ébranler ses désirs. « Dites-moi seulement. Un automate de cette taille, très certainement, sera capable d'accomplir d'autres tâches que de simples salutations ? Comprenez : je veux que vous construisiez un être capable de travailler, même aux labeurs les plus simples. Le pourrez-vous ? » Ses yeux luisaient désormais d'un éclat fiévreux, la pupille, plantée sur Numa, abandonnée à sa fébrilité. « Croyez-moi, si vous réussissez, je vous rendrai riche – si riche que vous n'aurez rien d'autre à faire que façonner vos pantins dans de l'or. » Et il y croyait. Sincèrement. |
| | | | Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Lun 9 Juil - 11:02 | |
| [HJ : Mille excuses pour mon énorme retard, mais avec le déménagement, la venue de Ras', j'ai eu un peu de démotivation/Moins le temps. J'espère que ma réponse te conviendra, toutefois =) ] « Des poupées ? Des poupées ? Des poupées ? Des poupées ? Il veut mes poupées ? Il les veut ? Il les veut ? Il les veut ? Il les veut ? Elles ne danseront plus, elles ne danseront plus, elles ne danseront plus, elles ne danseront plus Pour Nami ? » Numa leva un regard étonné sur Arthur, ses oreilles entendaient les mots, elles les écoutaient même, pourtant une partie de son cerveau ne parvenait pas à saisir leur sens. Une lueur presque agressive et cupide se dandinait dans les prunelles d'Arthur, c'était ainsi en tout cas que le gamin interprétait son soudain intérêt. Le Bégue resta un moment interdit, les mains sur ses genoux maigres, le regard écarquillé, et perdu. Il avait entrouvert sa bouche, sa tête rentrée dans les épaules, tout ça lui donnait l'air d'un enfant battu et fatigué de tout ceci. Cependant, son cerveau essayait maladroitement de comprendre ce que l'homme voulait de lui, n'importe qui aurait sauté de joie et serré la main du bourgeois devant sa proposition. Pas Numa. Pas Numa, car il était encore trop lent d'esprit pour mesurer en hâte l'ampleur du projet. Arthur lui tendait une main intéressée, malgré le dégoût et la fausse compassion que le Bègue lui inspirait. Un frisson désagréable parcourra le corps du jeune homme, ça lui rappelait cette belle femme de quarante ans qui avait cru en lui, et qui un soir l'avait invité en sa demeure. Son époux absent, elle avait serré les doigts de l'adolescent dans les siens pour le conduire à ses appartements, où dans un petit salon tapissé de broderie, envahi par les livres, et par une odeur d'encens, on avait allumé un feu de cheminée. Numa se souvenait péniblement de l'instant, où elle lui avait fait toucher sa poitrine sous le tissu de soie qu'elle portait, il bougea les épaules pour chasser le fantôme. Le souvenir effrayant, où elle lui avait donné de l'argent, en échange de son pucelage. Arthur lui demanderait-il quelque chose dans ce goût-là ? Numa trembla plus fortement qu'à l'accoutumée, ses mains se crispèrent, et ses ongles se plantèrent si violemment qu'il sursauta. Cependant, et d'après ce qu'il savait, un pucelage ne se perdait qu'une fois. Mais les gens n'étaient que des rapaces avides, que voudrait alors Arthur de lui en échange de son argent ? Numa tourna la tête, l'oeil ocre posé sur un amas de plans, d'esquisses, et de pièces, il s'interrogea quant à la bienveillance de son futur mécène. Arthur ne voulait-il pas lui dérober ses automates ? Croyant attraper là une horrible information, il fut pétrifié un instant, et il secoua le menton. Jamais il ne laisserait qui que ce soit approcher son oeuvre, se l'approprier. Il faisait tout ça pour elle. Nami était son Monde, Nami était son Univers, et lui-même s'interdisait de la toucher, alors personne n'aurait le droit de détruire son Oeuvre. Celle qu'il voulait créer pour la protéger, et le remplacer. Lui, le Raté, le Bègue, l'Imparfait, le Tremblotant, l'Infirme, le Handicapé, la Chose. Tant de surnoms affectueux que sa mère lui avait autrefois donnés. —... Numa avait de nouveau retourné toute son attention vers Arthur, il détailla l'homme de son expression de chien perdu et blessé, sans laisser rien paraître quant à la colère naissant dans son être. Arthur était un voleur, mais Arthur était beau, charismatique, et riche. Si Numa voulait réaliser l'invention de sa vie, il devait courber l'échine, et se mettre à genoux devant lui. Le jeune homme ferma le poing, qu'il ramena vers sa bouche, il mordit son pouce, il n'était qu'un gamin effrayé. Son corps entier tremblait, sa gorge était sèche, et il ne savait pas s'il était encore capable d'articuler. Cependant, derrière son masque d'enfant persécuté, Numa était un scientifique. Un être doué et intelligent, certes un peu autiste, mais il y avait certaines choses qu'il pouvait faire, et comprendre. Si jamais Arthur tentait de lui voler son Oeuvre, il se débarrasserait de lui, comme il l'avait fait avec la Dame aux Animeaux qui avait soupçonné sa jumelle d'être à l'origine de la mort de son chien. Contrôler la vie, jouer avec elle, la serrer dans ses bras pour mieux la détruire, c'était facile. Numa approuva, puis se souvint brusquement de la question d'Arthur, il fronça les sourcils pour finalement hausser les épaules. — Tr... tr... travailler ? O... o... oui, c'-c'-c'-c'-c'est p-p-p-p-p-posssssible. J-j-j-j-je de-de-de-dois é-é-é-établir ce-ce-ce-ce-ça de-dans le-le-l--l’heure-leur te-te-te-tête. Mais ces automates n'étaient pas fait pour être ouvrier, Arthur n'était pas obligé de le savoir. Après tout, Numa restait un enfant, à qui on donnait la possibilité de créer des monstres, ou des hommes machines. A sa guise, puisqu'il était le seul, et unique Maître des Automates.
« Ils ne danseront plus, ils ne danseront plus, ils ne danseront plus, ils ne danseront plus. Mais ils deviendront vivants, mais ils deviendront vivants, mais ils deviendront vivants, mais ils deviendront vivants, Avec un coeur, avec un coeur, avec un coeur, avec un coeur. Ils l'aimeront. »
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| | | Invité Invité
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| Sujet: Re: L'inventeur devenu son propre jouet. [Arthur] Ven 14 Sep - 11:57 | |
| [ Bon, euh, je crois qu'en matière de retard je t'ai battu au final... Désolée x3x Et navrée aussi pour la médiocrité de cette réponse, ça fait trop longtemps que je n'ai pas rp, jme sens bien rouillée. Il me semblait que c'était le bon moment pour terminer l'entretien, mais dis-moi si tu trouves ça trop précipité, s'il manque quelque chose etc. ♥ ] Il ne prit cette fois la peine que de cacher à moitié son impatience : on le faisait trop attendre pour un seul petit acquiescement, une seule petite réponse dont dépendait pourtant tellement. Les lèvres à demi-retroussées dans une ébauche de sourire qui ne cachait plus sa condescendance, il se retint de taper du pied, mais ne se gêna pas pour laisser son regard papillonner dans la pièce, tout à son excitation, dans l'attente de la fin du bégaiement. Il n'écouta de toutes façons guère les explications de l'ingénieur une fois que le « oui » tant attendu eût franchi ses lèvres ; et après tout pourquoi aurait-il à se soucier, lui, de savoir les détails de construction ? Il laissait les questions techniques au jeune homme, ne s'intéressant pas même à ce que « établir ça dans leur tête » signifiait et impliquait. Quelque principe mécanique aussi miraculeux que barbant, à n'en pas douter. Non, lui se trouvait déjà totalement détaché de la phase de création, trop plongé qu'il était dans ses fantasmes, à s'imaginer son armée d'automates investir le palais sous les cris admiratifs de tous les nobles de la Cour. Il voyait même sa chère mère, venue exprès de Fintasy, se vanter de sa réussite auprès de grandes dames toutes plus envieuses les unes que les autres, il se voyait s'avancer vers le Prince, plus richement vêtu qu'il ne l'avait jamais été, et recevoir quelque haut titre comme récompense bien méritée – baron ou comte, pourquoi pas, ses délires de grandeur n'étaient plus à ça près. L'aspect de l'atelier, son désordre, ses odeurs, tout, y compris la mine si misérable de Numa et ses manières de pauvre diable, lui parut tout à coup aussi répugnant que lorsqu'il y était entré – et surtout tellement à l'opposé des images de ses désirs qu'il ne pouvait soudain tolérer de demeurer ici plus longtemps. Que ses rêves si lisses et comme brodés d'or vissent le jour dans la crasse et la misère de cette pièce, soit, ils y seraient mieux cachés ; mais lui n'avait plus envie pour l'instant de les y contempler. Il se releva donc sans déguiser son empressement et, entre des coups d'œil à son garde du corps et des petits gestes inconscients pour épousseter son manteau, fit d'un ton aussi poli que sa fébrilité lui permettait : « Bien, bien, tout est entendu, donc, c'est parfait. Vous recevrez sous peu ma première participation financière, ainsi qu'un énoncé des quelques points de détail que nous pourrons discuter plus... confortablement par correspondance. » À dire vrai, Arthur n'avait encore aucune idée du montant qu'il convenait de donner dans ce genre de situations, ni des exigences qu'il pourrait formuler ou de la façon de les formuler. Il comptait y réfléchir plus tard, une fois dans un environnement moins hostile, même s'il n'ignorait pas qu'il ne lui faudrait pas tarder. Après une dernière hésitation accompagnée d'une torsion de ses mains gantées, il songea qu'il n'avait plus rien à ajouter et qu'il était temps de prendre congé ; les lieux, à présent, commençaient à le mettre de plus en plus mal à l'aise. Il n'en laissa cependant rien paraître lorsqu'il se tourna une dernière fois vers Numa pour un salut courtois et souriant. « Sur ce je vous laisse donc retourner à votre travail. J'aurai de toutes façons de vos nouvelles très prochainement, et vous des miennes. Avec un petit signe du chapeau : Au revoir. » Là-dessus il tourna les talons et, son garde derrière lui, fila sans plus attendre. Son pas était devenu plus vif alors qu'il retraversait les usines pour retourner à sa voiture ; et tout au long du trajet son esprit bouillonnait autant autour de ses idées folles d'automates et de gloires qu'à la pensée de la douche qu'il prendrait en profondeur dès qu'il serait rentré. |
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