Les notes et les couleurs dansent en un maelström décadant et dégradant. Comment peut-on appeler ça de la musique ? Et encore plus, de la musique de qualité ?! Je trouve ce bruit totalement affligeant et ridicule. Moi qui ai payé une fortune pour assister à cet Opéra... Bon, d'accord, c'est un de mes clients qui m'a offert la place en échange de quelques infos. Mais je paye ce divertissement avec mon temps également. Et malheureusement, je n'ai pas de temps. Pas de temps pour m'occuper de moi, pas de temps pour tomber amoureuse, et encore moins de temps pour sortir m'amuser. Par contre, j'égorgerai bien volontiers ceux qui osent dire que je n'ai pas le temps de vivre ! Je vie, à ma façon je l'avoue, mais la taverne c'est toute ma vie. C'est en sortant ce soir que j'ai abandonné ma vie. Pour la première fois en trente ans d'existence le Cochon Pendu était fermé. Quelle honte ! Et tout ça pour une musique tout à fait détestable et une ambiance de cimetière aristocratique. D'ailleurs, pour ça aussi je regrette d'être là : que des nobles ! Partout ! Que ça ! Pas que je me sente laide ou mal habillée, non, je n'ai pas grand chose à envier aux autres femmes en fait (et surtout pas leur profusion de bijoux qui les transforme en kaléidoscope ambulant !). Seulement, l'air est tellement saturé par des odeurs de parfums couteux et les jeune nobles son tellement sexy que ça en devient irrespirable, surtout avec un corset aussi serré que le miens.
Heureusement, tout Opéra a une fin et celle ci vient enfin. Je me lève de mon fauteuil, en évitant la matrone dont j'ai dû supporter les plaintes tout du long, et me dirige vers la sortie. Alors que j'atteins les grandes portes dorées, un serveur me barre le chemin.
- Désolé mademoiselle, mais il vous faut attendre la fin de la soirée pour pouvoir sortir.
"Soirée" ? Je grommelle et m'en retourne au pays des faux semblants et des bonnes manières.
Une soirée. Une soirée ! Mais qu'est ce que j'en ai à cirer moi des soirées ?! Je ne suis pas venue pour m'amuser nom d'une bière périmée !
Je me mords la langue en pensant que c'est bien pour ça que je suis venue : m'amuser. Qu'est ce que ça pourrait être d'autre ? Mon client ne m'a pas forcé, c'est moi qui ai décidé de me rendre à cet Opéra. Mon subconscient a peut-être capté mon manque de loisir. Ma situation doit vraiment être pitoyable pour que l'on m'offre un Opéra dissonant.
Je m'approche du buffet où des coupe de vins couteux brillent au côté de mets délicats. J'ignore l'alcool et me jette sur la nourriture pour faire passer ma crise identitaire et par la même occasion, le temps lui même.
Tout en ingurgitant petits pains au caviar sur petits pains au foi-gras, j'observe la gente masculine qui m'entoure. Et oui, j'ai enfin trouvé une activité amusante, et même intéressante. Et je dois dire qu'entre les quelques croutons de la soirée, les princes, ducs et autres nobles beaucoup plus jeunes sont à croquer.
Je cligne des yeux, un peu étonnée par ce qui m'arrive. Ce doit bien être la première fois que je prends le temps d'observer les hommes autour de moi ; en imaginant ce qui pourrait se passer avec un tel si il m'emmenait sur la terrasse, ou avec un autre s'il m'isolait dans une alcôve... Hum...
J'imagine beaucoup de chose quand même, moi la vierge de vingt cinq ans. Dont le pire cauchemar est de finir vieille fille, et je crois bien qu'il est en train de se réaliser. Horreur et damnation !
Au stade où j'en suis, j'accepte tout ! Sauf les gigolos et les histoires trop sérieuses. Je ne suis pas encore prête pour ces dernières...
C'est décidé ! Ce soir est un grand soir : je vais draguer un homme (voire deux, trois, ou plus encore) ! Oui, draguer ! Oui, un homme ! Mon courage m'impressionne je l'avoue.
C'est ainsi que j'arrange ma robe rouge sang aux formes sexy et m'éloigne du buffet et de ses parasites.
Je n'ai même pas eu à le chercher. Même sans le voir j'ai su qu'il était là, derrière moi. Une présence si virile, si oppressante, si sauvage. L'aura d'un mâle dominant...
Je me retourne, il me regarde.
Par l'Ombre, ne gémis pas Nih'...