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| Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? | |
| Auteur | Message |
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| Sujet: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Mar 26 Oct - 21:13 | |
| Ils étaient venus à pied, Heinrich n'avait pas de cheval et il ne se voyait pas payer un fiacre pour faire le chemin. Il avait espéré que la marche et le grand air lui rendrait sa bonne humeur et une certaine joie de vivre. Grave erreur. Il avait fait plusieurs fois le chemin mais jamais il n'avait autant déprimé pour sortir de la ville. Il avait fallu traverser les faubourgs, cour de la crasse et du désespoir. A chaque tournant des gens qui semblaient aussi heureux de vivre que lui. Quoiqu'eux avaient au moins une raison : chaque instant arraché à la Mort était une victoire. Une victoire à double tranchant, une victoire à la Pyrrhus, une victoire qui était une défaite.
Il s'était éloigné à grand pas, Jésus sur ses talons. Il avait tout de même fallu un certain temps pour traverser l'immense capitale. Un temps qui lui pesait sur l'humeur et qui ne faisait ni chaud ni froid à son esclave. Le fait que le peintre ne se sentait pas bien depuis l'apparition de la rumeur de la maladie de l'empereur, que tout le monde ait envie de se suicider comme un vulgaire troupeau de lemming et que ce lézard ne ressente aucun effet et se sente particulièrement bien lui laissait un goût amer dans la bouche. De la jalousie ? Avec un peu d'honnêteté, il aurait pu répondre que c'en était. Mais comment être rationnellement jaloux d'un esclave ? Heinrich aurait préféré mourir plutôt que de l'avouer. Le choix n'aurait pas été très difficile vu son humeur actuelle.
Après quelques temps, les maisons se firent plus disparates et les champs apparaissaient peu à peu. Heinrich avait espéré que revoir un peu de Terre lui aurait fait du bien. Le ciel sombre et violent ne faisait qu'accentuer son trouble intérieur. Il n'avait pas vraiment envie d'aller beaucoup plus loin. Il se dirigea vers un bord de champ à côté d'un petit bosquet et s'assit un instant pour se reposer. Il regarda vers son esclave et lui indiqua :
"Fais ce que tu veux mais ne t'éloigne pas trop."
Pourquoi l'avait-il amené ? Pour porter son matériel de dessin ? C'était en partie vrai mais Heinrich aurait pu le porter seul. Mais voilà peut-être qu'il n'avait aucune envie d'être seul. Même éloignée, il avait besoin d'une présence. Et après tout, il l'avait bien acheté pour ça. Pour ça et...
"Ah oui ! Au fait, préviens moi s'il y a quelqu'un qui s'approche par ici."
Allait-il obéir ? L'artiste n'en savait rien et préférait tout de même rester sur ses gardes. Car ce pour quoi il était venu, ce n'était ni plus ni moins qu'essayer de tirer au clair l'état de son pouvoir. Il s'était si vite amusé à peindre avec que ne plus l'avoir, se rendre compte que l'effort était de plus en plus grand pour bouger un nombre de particules de plus en plus minces et de plus en plus minuscules, se rendre qu'il perdait ses pouvoirs en un mot, se rendre compte de cela le chagrinait et l'inquiétait abominablement. Il en avait même cauchemardé la nuit, comme nombre des nuits précédentes. Mais cette fois ci le rêve avait été si pernicieux qu'il voulait en avoir le cœur net. Inutile d'essayer de bouger les particules discrètement. Il savait que cela ne fonctionnerait pas.
Il voulait revenir aux bases. Il n'y avait rien de mieux que cela. Il avait commencé dans la nature à ouvrir les yeux et le cœur sur les prodiges qui l'entouraient. Il voulait revenir à la source. Ouvrir les yeux était un bien grand mot. Il était tellement perturbé qu'il fallait d'abord commencer par se calmer sinon, il ne ferait rien de bon. Il s'installa un peu plus confortablement, assis en tailleur, les mains négligemment posées sur ses genoux et ferma les yeux. Il respira plus profondément, plus lentement, se concentrant sur le vent qui soulevait ses mèches blondes, le bruit des blés et des feuilles, l'odeur de la terre humide qui grimpait comme un lierre aérien.
Petit à petit, pour la première fois depuis de nombreuses semaines, il se sentit serein. Ethéré. Il rouvrit doucement les yeux, levant doucement la main, écartant des doigts tremblants, prêt à se faire mouvoir la poussière. Autour de lui, quelque chose d'invisible commençait à se modifier, une aura se métamorphosait doucement mais avec puissance. Puis finalement, il arrêta. Un trouble nouveau approchait. Sa concentration était perdue et l'exercice momentanément fichu. Il leva la tête vers ce qu'il estimait être l'origine du trouble, le regard plein de colère pour l'élément perturbateur. Si c'était Jésus, il allait passer un mauvais quart d'heure. |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Mer 27 Oct - 22:00 | |
| Alors que les nuages assombrissaient le ciel d'une clarté grise et mauvaise, je m'éloignai lentement de la Capitale pour oublier la morosité et les rumeurs Les rumeurs grossissaient plus la morosité générale grandissait, et plus ces mêmes rumeurs devenaient invraisemblables. Certes celles disant que l'Empereur était malade n'étaient pas fausses, mais ça m'ennuyait d'entendre cette masse stupide et cupide bavasser comme des poules en croyant tout savoir, alors que leur rôle était de rester de simples marionnettes que l'Église pouvait manipuler à souhait. Souvent en observant l'Église et les moutons qu'elle gardait soigneusement dans ses troupeaux, je ressentais une aversion si forte que cracher sur mes collègues me brûlait les lèvres, je haïssais et méprisais tout. Même ceux qui combattaient à mes côtés, je désirais seulement tout détruire, c'était pour ça que je constituais la redoutable discorde, le traître sans crainte, le dévoreur d'Inquisiteurs lui-même inquisiteur. Je m'imaginais, déjà explosez, la tête de Lawrence Ashford dans une mer de sang, tandis que ses cris me briseraient les tympans ; je n'en rêvais pas la nuit, mais je le faisais éveiller. Ma main bougeait toute seule en sentant les cheveux bruns de l'Inquisiteur se frotter à elle, et si je les lui arrachais avant d'exploser sa figure impassible et calme ? Un petit sourire pervers dansa sur mes lèvres, je les humectai rapidement avant de poursuivre ma route.
Ce que je faisais ici ? Je voulais simplement m'éloigner de la Capitale et toute l'énorme frustration qu'elle générait. Je fermai les yeux en marchant, parfois je sentais mon corbeau planter ses serres dans mon épaule, à force, je sentais à peine la douleur. Et puis, j'aimais lorsqu'il était prés de moi. Avec cet auguste et obscur animal sur mon épaule, je parvenais à épaissir l'effroi que j'inspirais à la masse, nous étions indissociables. Si bien que je ne pouvais m'imaginer vivre sans lui, c'était une partie de moi, les corbeaux. Personne ne me comprenait, je m'en foutais aussi. Cependant, c'était ma force et ma faiblesse, c'était lui qui me rappelait ce que je risquais si je laissais la haine surpasser ma raison. J'en avais davantage besoin dans la situation présente, rare était les fois où je m'étais senti vulnérable. Comme l'enfant fragile d'autrefois, je sentais que le sang circulant dans mes veines courait faiblement, sans ardeur, sans vigueur, et le rythme de mon coeur était plus calme. Je me débrouillais pour que personne ne puisse savoir ce qui se passait en moi, et ayant toujours été aussi expressif qu'une tombe, je n'avais pas à m'inquiéter de l'apparence. Toutefois, j'étais obligé d'admettre et repousser mon orgueil, moi aussi ça m'atteignait. Faiblesse attisant frustration, je détestais ça ! Pris dans une colère qui s'allumait tout à coup, sans prévenir, j'avais obtenu l'autorisation de quitter mon poste pour la journée.
— L'Église salue ceux qui s'agenouillent, murmurai-je en m'approchait vers une silhouette.
Je croyais de toute mon âme à l'Ombre, et je lui étais dévoué, cependant malgré toutes ces années, malgré ce titre que j'avais obtenu, j'étais incapable de croire à l'Église. De même que je ne croirais jamais en l'être humain, et en songeant à l'être humain, je m'arrêtai en croisant le regard irrité d'un inconnu. Je fronçai les sourcils, croisai les bras et levai légèrement la tête, signe de mon mépris et de mon arrogance. Si ce jeune homme avait l'intention de décharger sur moi sa colère, il était mal tombé, personne ne me survivait. L'Onyx poussa un énorme croassement rauque prés de mon oreille, il battit des ailes et ses plumes vinrent caresser mon visage, finalement il décida de s'envoler. Ombre noire dans un ciel sombre, il se dirigea vers l'inconnu, son oeil noir et unique le fixait comme s'il s'apprêtait à le dévorer. Je serrai la mâchoire en détaillant mon futur interlocuteur, remarquant au passage un matériel pour le dessin. Un artiste ? Perdu au milieu de champs ? Ça n'avait rien de surprenant, mais je n'avais pas prévu croiser quelqu'un dans cet endroit. Je fis quelques pas en avant sans prendre la parole, mes yeux rouges fixèrent son regard bleu teinté d'or, alors que sur un ton d'impétueux je lançai :
— Eh bien ?
Après tout, il semblait véritablement en colère contre moi. Pourquoi ? Sans doute pour la même raison que moi : il y avait quelqu'un, moi aussi j'étais venu quêter un peu de solitude et de calme. Et je le provoquais davantage, partant du principe que cet endroit m'appartenait déjà. J'étais trop insensible pour comprendre ce qu'un artiste faisait dans un tel endroit, ni pour quoi il pouvait ressentir de la colère en voyant un sauvage violer son sanctuaire.
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| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Jeu 28 Oct - 9:29 | |
| La première seconde, la première impression, le premier regard jugeait de tout le reste. Amitié ou inimité, tout cela se décidait au premier coup d'œil. Et ici, il n'était pas favorable. Il y avait tout d'abord une répulsion viscérale. Heinrich avait senti sa gorge se serrer et un goût amer et acide lui remonter le long de la trachée. Pour lui qui était obnubilé par la couleur, ce personnage le révoltait. Blanc, vêtements blanc, peau blanche, cheveux blancs, gorge blanche. Pire que le régent qui n'était pourtant pas gâté en ce domaine. Sur une femme, ça pouvait être exquis. Sur un homme, c'était profondément dégoûtant. Une erreur de la nature.
A peine l'autre le remarqua qu'il s'arrêta, le regardant, prenant une pose hautaine. Deuxième dégoût. Qui était bien ce type pour vouloir le rendre d'un seul regard au même niveau qu'un gueux ? L'Heinrich aux sourcils froncés serra un peu plus les dents, les muscles de ses joues se crispèrent, son regard se ferma davantage. L'oiseau qui se posait sur l'épaule de cet inconnu cria puis vint s'envoler pour s'approcher de l'artiste. On eut dit un chien qui aboie au passant parce qu'il pose le regard sur son maître. Il vint voleter quelques instants autour de son visage, le regardant étrangement. Un muscle de sa joue se contracta un instant, entamant une grimace fugace. On eut dit que l'oiseau était humain.
Un mouvement derrière le volatile vint détourner son attention. Le blafard avait fait quelques pas, s'approchant. Leurs regards se croisèrent. A cette distance, il put distinguer leur couleur. Rouge. Immonde. Un rouge assombrit par le tumulte céleste. Un rouge que les noirs nuages en mouvement rendaient dansant, vivant comme si seule cette teinte pouvait exprimer les sentiments de ce visage de talc.
Heinrich levait la tête, comme souvent, étant le plus petit, étant assis au sol. Il levait la tête mais se redressait un peu, sa naissance aristocratique se manifestant, se révoltant devant le regard qui lui avait été lancé. Un port un peu altier ne lui ferait pas de mal. Artiste certes mais de sang bleu. Les regards électrisaient un ciel tremblant d'un orage prochain. Et vint, finalement, une voix rompant ce silence aussi pesant que l'atmosphère, un silence qu'Heinrich aurai bien voulu garder inaltéré.
Deux mots. Une question. Une insolence.
Et bien ? Heinrich se sentait offensé. Et bien ? On eut dit un petit propriétaire de campagne attendant des excuses parce qu'un vulgaire pouilleux avait posé le tiers du quart d'un orteil sur son domaine. Et bien ? Voulait-il un droit de passage, peut-être ? Et bien ? Voulait-il son cul plutôt ? Et bien ? Et bien non. Ses mâchoires closes à s'en disloquer les canines se relâchèrent un instant. Un sourire mi mesquin mi obscur vint déplacer ses lèvres.
"Sous le ciel et sous le soleil à vous aussi, étranger"
Le r avait été quelque peu aspiré mais bien présent. Impossible de dire que le peintre n'avait pas utilisé la complète formule. Impossible de ne pas sentir qu'il avait souligné l'impolitesse de son interlocuteur. Impossible de dire que ces paroles ne voulaient pas remettre le blanchard à sa place sociale : en dessous d'Heinrich. Heinrich qui d'ailleurs ne se levait aucunement par irrespect voulu et parce qu'étant naturellement plus petit, il voulait se grandir ainsi. Peut-être aussi qu'avec un peu de chance cela ferait partir cet homme blanc et son corbeau noir. Homme blanc, corbeau noir... Cela lui disait quelque chose. Mais quoi ? Aucune importance. S'il partait, il s'en fichait de qui cela pouvait bien être. Qu'il dégage. Heinrich haussa d'ailleurs légèrement les sourcils en une question silencieuse.
~N'est-ce pas que tu vas aller te faire bronzer ailleurs ?~ |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Jeu 28 Oct - 17:48 | |
| J'observai les petits détails prenant vie sur le visage de l'inconnu, froncement de sourcil, mâchoire crispée, même s'il ne déclamait rien, tout portait à me dire que je le dérangeais. Et encore ! L'expression était mal choisie, trop faible et si éloignée de la vérité. Je vis l'éclair de dégoût que je lui inspirai passer dans ses yeux, comme je pris immédiatement son silence pour une insulte, je ne connaissais rien de ce jeune homme, et je ne devinais pas son statut d'aristocrate, lui non plus ne devait pas savoir que j'étais un Inquisiteur. Je fis un nouveau pas vers lui, mais je décidai que ce serait le dernier, je ne quittai pas ses yeux bleus, comme attiré par cette légère teinte dorée. Alors qu'il se redressait un peu, mes doigts en argents commencèrent à tapoter mon avant-bras, signe de mon impatience grandissante. Ce que je voulais ? Je désirais qu'il parte sans un mot, ou avec des excuses tout au moins, je ne pouvais pas taire ma frustration sans une complète solitude, c'était admettre une partie humaine de ma forteresse noire, être avec quelqu'un.
Et pourtant, malgré mon arrogance, malgré mon impétuosité, il fut le premier à saluer l'autre. Un léger pli se forma sur mon front lorsque mes oreilles perçurent le « r » aspiré, mais j'en fis abstraction, je n'étais pas le genre de personne prenant un soin énorme à la politesse. J'avais certes de l'éducation, mais celle-ci existait seulement lorsque je me présentais à quelqu'un de plus hauts gradés que moi, comme Uriel d'Arken par exemple. Je ne respectais que peu de personnes, et ce ne serait pas l'artiste qui allait faire naître ce sentiment en moi. Néanmoins, je m'interrogeai rapidement sur son compte, il n'avait en rien la figure d'un être luttant pour survivre dans la jungle d'Ishtar, au contraire, ces vêtements et son attitude laissaient à penser qu'il connaissait la société. Pas celle des gueux et de leurs chiennes, mais la horde de rats vêtue de haut-de-forme et de cape en velours, ceux qui assoyaient cette misérable populace à l'état de fourmis. Il avait la prestance d'un artiste plutôt reconnu, mais portant un profond désintérêt à l'art (même si je jouais du violon) je ne connaissais ni son nom, ni son visage. Je fronçai les sourcils, mes lèvres s'entrouvrirent ; je pouvais continuer à le traiter comme je le faisais présentement, mais je ne ferais sans doute qu'accentuer son envie de rester ici, dans ce champ. Je me retournai lentement, mes yeux parcourent le paysage qui s'offrait à moi, je ne comprenais toujours pas ce qu'il pouvait trouver d'intéressant.
Ce n'était qu'un décor comme les autres, une suite de forme et de couleurs, affreusement banales et ennuyeuses. Retournant mon attention sur l'inconnu, je continuais de garder le silence, ne ressentant aucun irrespect dans mon attitude. Pour moi, j'agissais comme d'habitude et puis, je n'étais pas un homme attiré par les grands discours et les discussions passionnées, j'étais plus dans les actes. L'action, c'était ça la vérité et le but de ma vie, massacre. Les minutes s'écoulaient lentement, comme si le sablier du temps tentait de retenir avec violence chaque grain de sable désireux de retrouver ses frères, le silence ne m'avait jamais dérangé. Cependant, ça dérangeait la plupart du temps les autres, surtout lorsqu'un parfait inconnu les fixait sans expression de toute sa hauteur. Une pensée me vint alors, et si je m'asseyais à mon tour ? Après tout, l'inconnu était plus petit que moi, et j'aurais peut-être pu lui arracher quelques paroles pleines de fureurs et haines, je savais où mon venin pouvait le mieux agir. Je n'aimais pas me comparer à un serpent, je préférais me rapprocher des loups, mais j'avais le même caractère silencieux et sournois lorsque la bête n'éclatait pas. Alors je finis par m'asseoir à mon tour, imitant la position de mon interlocuteur.
Aussitôt, mon oiseau revint se percher sur mon épaule, et je continuais de fixer l'artiste. Était-il aussi tête de mule que moi ? Lorsque j'avais une idée, je ne l'avais pas ailleurs et j'avais la ferme intention de ne pas décocher une parole, comme une sorte de combat intérieur, un défi que je lui lançai d'une façon claire, mais muette. Et pour ça, je gardais mon air calme et impassible, me contentant de frémir lorsque je sentais l'air glisser sur ma nuque, tandis que ses murmures se répandaient. Seules voix de deux êtres apparemment faites pour se contrarier, l'air brisait de temps à autre le silence, me rappelant que je n'étais qu'un homme, mais loin d'être comme les autres. Je haïssais que l'on puisse me comparer à cette race décadente. Même le corbeau ne croassait plus, se contentant de battre des ailes à chaque fois que le vent courait sur ses plumes d'ébènes. |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Lun 1 Nov - 10:07 | |
| L'autre ne répondit pas à son salut. L'esprit d'Heinrich ajouta une ligne au catalogue de cet homme. En plus d'être considéré comme "erreur de la nature", "dégoûtant", "dérangeant" et " à éviter", il venait également d'acquérir le statut de "malpoli". Cela n'avait l'air de rien mais la noblesse d'Ishtar accordait une grande importance aux phrases toutes faites et aux rituels conversationnels. Déroger de cela vous faisait déprécier de tout le monde. Comme c'était le cas ici.
Heinrich ne le quitta pas du regard alors que l'homme, lui, contempla la scène. Impossible de lire ce qui lui était passé par la tête à ce moment là. Trouvait-il le paysage ennuyant ? Ou était-il à son goût ? Ce devait être cette dernière solution. En effet, il s'assit sur le sol. Malgré les pluies fréquentes de ces dernières semaines, le temps chaud voire étouffant séchait relativement vite la terre humide. Heinrich s'amusa intérieurement à se demander quel serait l'état du fond de pantalon -blanc- de l'inconnu après s'être posé là. Hé hé, ça aura l'air ridicule.
Mais cette pensée mesquine n'était qu'un maigre consolation face à son désarroi. L'autre s'était assis et l'empêchait de travailler son pouvoir. Il avait là une compagnie inutile, gênante et dangereuse. Certes, Heinrich avait amené Jésus dans ce trou désolé pour éviter de se sentir trop seul. Mais son esclave était au courant de son pouvoir -après tout, il n'avait pas pu faire autrement et ça avait eu l'heur de lui plaire. Or cet importun lui ignorait tout de son état de philosophe. Pour un peu qu'il soit un cul béni et qu'il travaille son pouvoir, il irait tout dénoncer au plus proche curé qui lui-même en rapporterait aux instances supérieures jusqu'à avoir des inquisiteurs aux trousses si D'Arken n'avait pas été mis au courant. Ou justement parce que D'Arken aurait été mis au courant. Il ne savait pas ce qui était le pire mais l'épisode de la mise à mort de l'hybride lapin par le prêtre le travaillait toujours.
Bref, la compagnie, il l'avait et il l'avait même trop. Impossible de travailler ici. Cet homme ne s'était-il pas mis ici uniquement pour l'enquiquiner ? Heinrich n'en savait rien. Si le paysage lui avait plu, c'était certes pour profiter du panorama que le peintre soit là ou pas. Sinon, c'était uniquement pour faire 'profiter' de sa présence déplaisante le peintre. Et dans ce cas, s'il se levait, il le suivrait. Bon. Il n'avait pas non plus envie de bouger pour rien. Heinrich soupira, passa la main sur son visage et regarda attentivement aux alentours. Malheureusement, passé ce bosquet, c'était de la rase campagne -enfin non, pas vraiment mais le prochain bois ou amas d'arbre quelconque était bien loin pour marcher. Or travailler son pouvoir nécessitait un minimum de discrétion. Pourquoi ce pays n'était-il pas aussi beau que le Nördlichesländer ? Avec plein de petits vallons partout ? Les champs qui se mêlaient aux bosquets ? Bah, que le territoire d'Ishtar soit identique au sien aurait été vraiment dommage et plutôt à éviter. Il n'empêchait qu'il n'avait pas d'autres choix. Soit il restait et ne s'entraînerait pas tant que l'autre était là, soit il s'en allait et ne s'entrainerait pas du tout. Le choix était désagréable mais vite fait. Il fallait qu'il reste.
Il leva les yeux sur l'inconnu. Et son corbeau battit un peu des ailes. Sa bouche se pinça. Quel étrange couple. Un type blanc qui se promenait avec un corbeau qui était son exact contraire au niveau des couleurs. Il avait entendu parler de cela il n'y avait pas si longtemps-ce qui n'avait été qu'une vague pensée grossissait maintenant comme une certitude- mais à quel propos et où ? Pas chez lui certainement. Donc soit dans la rue, soit chez un client. Et bien, cela n'éliminait pas grand nombre de possibilité. La rue ? Un client ?
Les mains du peintre s'emparèrent du matériel qu'il avait emmené en ouvrant une nouvelle page de croquis. Un client ? La rue ? Son attention était posée sur sa réflexion, sur l'inconnu. Ses mains se mirent à bouger dans un éclair de fusain. Du fusain noir. Noir corbeau. Ce qui avait commencé comme une cîme de champs de blés se transforma petit à petit en aile noire. D'aile en bec. De bec en joue. De joue en visage. Un visage raté. Heinrich écarta le cerveau de sa réflexion pour contempler ce qu'il avait fait. Forcément. En partant de la fin, il n'y avait eu aucune chance qu'il ne réussisse à réussir son croquis. Il changea de feuille, se tourna davantage vers l'inconnu et se mit cette fois ci à le regarder et à ne plus dessiner de mémoire. Il ne se sentait pas à l'aise ? Le pauvre petit. Jamais il n'avait invité cet inconnu blanc à venir s'assoir, qu'il en subisse les conséquences !
Heinrich leva ostensiblement le bout du fusain pour prendre les mesure de base et commença le portrait. |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Mer 3 Nov - 19:39 | |
| Et lui non plus ne prit pas la parole, le jeune homme se contentait de montrer les quelques signes de son agacement, apparemment dessiner seul lui aurait plu ; c'était pour ça que je resterai. Et puis même si mes sens n'avaient jamais trouvé d'attirance à l'art — mise à part la musique, ce qui était plutôt extraordinaire —, il éveillait ma curiosité. Alors lorsque je le vis noircir sa feuille de fusain, j'avais haussé un sourcil et avais penché la tête légèrement en avant, trop loin, je n'avais vu qu'une aile noire sur le carnet de croquis. Fronçant cette fois-ci mes deux sourcils, j'avais tourné mes yeux sur l'oiseau, surpris qu'un artiste puisse trouver un quelconque intérêt au couple étrange que nous formions. C'était même étrange, je n'avais pas pour habitude qu'on fasse mon portrait, je fus secoué d'un frémissement lorsqu'il changea de feuille, cette même feuille que je fixai désormais avec l'envie de m'en saisir et de regarder ce qu'il avait raté. Bien sûr je savais que je n'arriverais pas à comprendre la subtilité d'une esquisse, ça ne serait pour moi qu'une forme complexe d'une vision humaine de ma propre personne, néanmoins je m'attardais davantage sur cette recherche de perfection qui paraissait motiver chaque dessinateur. L'humain était un être imparfait de par sa médiocrité, qu'espérait donc ce jeune homme ? Qu'essayait-il de capturer de ma personne ? Une émotion ? Ça serait le dégoût dans ce cas, il me méprisait et c'était réciproque. La curiosité que le corbeau pouvait apporter ? Pour la masse, cet oiseau représentait la mort, le malheur et n'était rien d'autre qu'un carnassier dévorant avec avidité des dépouilles. Une bête sinistre et macabre, un animal à fuir comme la peste, un charognard dont peu pouvait avoir de la considération.
Sans eux pourtant, les rues d'Ishtar seraient emplies de cadavres, les enfants joueraient avec des membres arrachés à des morts, se prendraient pour de preux chevaliers en se servant de bras et de jambes comme épée ; ce tableau morbide ne me déplaisait pas, contempler cette masse ignorante et faible devoir faire de la Mort un jeu, un marché pour s'enrichir, était tout simplement drôle. Le cheminement malsain de mes pensées m'amenait à l'envie de donner à cette image une belle réalité, même si je préférais une Ishtar sans habitants, moi seul au monde, avec mes corbeaux. Laissant les divagations prendre le dessus sur mon esprit, je considérais quelques instants la situation : l'Empereur était malade, et les quelques rumeurs à ce sujet étaient bien fondées, la maladie de ce gamin était-elle la cause de tout ceci ? Balivernes, je ne supportais pas une seule et misérable seconde que ma propre puissance puisse venir de lui, les pouvoirs de l'Ombre venaient de moi et de moi seul. J'étais un chien de l'Église, libre et fou, je suivais ce que l'on me disait simplement parce que je le voulais, me servant de l'Église pour mes actes. Alors, je ne pouvais avoir de faiblesse et être dépendant, surtout pas d'un enfant incapable de gérer l'Empire et de comprendre le monde qui l'entourait.
Passant ma langue sur ma lèvre inférieure, je posai mon regard sur la figure de l'artiste à quelques pas de moi, le vent passait dans les mèches blondes qui encadraient son visage, alors que le reste de sa chevelure reposait tranquillement sur sa nuque menue. Instinctivement et inconsciemment, je bombais le torse passant affectueusement mon doigt sur le bec de l'Onyx, je tentais de contenir ma curiosité, mes mains bougeaient de temps à autre, frémissaient dans l'envie de se saisir de cette feuille pour montrer à mes yeux la vision de l'artiste de mon être. Possédant une sensibilité que je n'aurais jamais, l'inconnu continuait de m'intriguer, les affaires et son matériel de dessin prouvaient que même s'il n'était pas richissime, il avait certains moyens. Avec sa carrure, je ne le voyais pas transporter tout ça seul ; balayant mes yeux autour de moi, je remarquai des traces de pas, quelques épis de blé brisés dans des directions différentes. Un pli se forma sur mon front, il n'était donc pas seul. Aussitôt, mes sens se réveillèrent, mes oreilles écoutaient le moindre bruit que ce soit ce murmure continu que les battements d'ailes des oiseaux dans le ciel, mes yeux ne cessassent de bouger à la recherche de son compagnon ou compagne, qu'importe qui ça pouvait être. Plus tendu, je me raidis, prêt à sortir mon épée de son fourreau et trancher celui ou celle qui l'accompagnait, si l'envie de me surprendre passait dans sa tête. Que l'on me veuille du bien ou du mal, le résultat restait le même pour moi. |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Mer 3 Nov - 22:44 | |
| Rhaaaa ! Le peintre commençait à sentir cette petit raideur dans les doigts, cette petite crispation des muscles de son dos. Autre signe qui ne trompait pas, le bout de son fusain éclata en une dizaine de petits morceaux de charbon. Ca y est ! Il était énervé ! Il leva avec précaution son carnet -de si grande taille qu'il était encore difficile de le nommer carnet mais bon, c'était de la qualité moyenne, il ne méritait pas un autre nom( bref, il le leva jusqu'à son visage, il se tourna précautionneusement et souffla sur le papier pour en chasser les éclats. Et merde ! Pourquoi le fichu créateur avait-il inventé la salive ? A part pour jouer entre adultes les soirs de beuveries et d'orgies, il n'avait jamais vu une autre utilité que de lui saloper ses croquis. Bon, il fallait attendre que ça sèche un instant.
Heinrich releva les yeux sur son modèle qui, depuis quelques minutes, se montrait de plus en plus intéressé sans rien en montrer. Ou presque. Car si on pouvait facilement cacher ses sentiments en temps normal, lorsqu'un peintre professionnel vous croquait, c'était une autre affaire. Comment cela ? Et bien, oui, chers amis. Le moindre petit mouvement, la moindre petite respiration, le moindre battement de cils était vu, contemplé, décrypté, analysé et immortalisé aussi longtemps que durait le papier. Et là, cela se voyait gros comme le bec au milieu du corbeau, que Monsieur l'importun essayait de se rendre plus agréable à dessiner. A moins que ce ne fut qu'une certaine morgue naturelle. Mais l'un n'empêchait pas l'autre. Et les deux avaient la même conséquence : il bougeait.
Heinrich jeta un rapide coup d'oeil sur son papier. La salive avait séché laissant une marque gondolée. Cela l'énerva. Bon et bien quoi ? C'était dans l'air du temps. Au moins avait-il fait quelques croquis préliminaires. Heinrich releva la tête. Mais il regardait où, l'autre ? S'il y en avait un à contempler ici, c'était lui. Pas quelqu'un d'autre, pas quoi que ce soit d'autre. D'ailleurs, en parlant de quoi que ce soit... Heinrich se retourna s'appuyant sur sa main posée au sol et contempla le paysage. Il était où Jésus ? Pfff, il devait avoir trouvé une pierre un peu chaude dans les environs et devait lézarder dessus. Non, mais franchement ! Comme s'il essayait de faire croire qu'il ne s'en occupait pas ! On ne le voyait pas et heureusement pour lui : Heinrich avait envie de lui passer une rouste.
Toujours un peu agacé, il se retourna vers son 'modèle' involontaire. Il pinça la bouche. Mais il était complètement tendu ce type ! Enfin, complètement, il n'en savait rien. Le blanc pourtant, ça laissait plus d'ombres mais là... Bref. S'il restait comme ça, il allait se fatiguer et il allait bouger pour rien. Encore. Et la perspective de rater encore un dessin parce que le modèle ne restait pas en place l'énervait déjà. Heinrich expira bruyamment en montrant son agacement.
"Hey" appela-t-il en claquant des doigts pour attirer l'attention de l'inconnu. Certes, ça avait un côté un peu supérieur, 'homme qui appelle son chien' mais bon, il avait l'habitude de faire ça, il ne s'en rendait même plus compte.
"Dites donc. On ne va pas vous sauter dessus. A part nous trois, il n'y a personne à des lieues à la ronde. Rendez-vous utile plutôt et détendez-vous. Ca vous évitera d'avoir à bouger toutes les trois secondes pour me faire rater mon dessin. Encore les yeux, ça passe mais le reste... Votre corbeau va s'envoler si vous arrêtez de le caresser toutes les trois secondes ? Non. Alors cessez, nom d'un petit feu de bois !"
Heinrich reprit son carnet, jeta un coup d'oeil dessus, tourna à nouveau une page et rejeta à nouveau un regard au blafard. A nouveau, il soupira en levant les yeux au ciel.
"Non, non et non. Pliez un peu plus le bras et tournez un peu plus le poignet dans l'autre sens. Et regardez par là." finit-il d'ordonner en tendant la main vers sa droite tout en claquant des doigts. "Si vous êtes sage, je vous en donnerai un" termina-t-il en laissant le fusain glisser sur le papier. |
| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Ven 5 Nov - 20:41 | |
| Arquant mon sourcil droit en voyant l'inconnu casser un morceau de fusain sur son papier, je penchai légèrement la tête pour l'observer en train d'essayer de retirer les saletés tombé sur son travail. C'était amusant d'examiner un artiste, je n’en avais jamais vraiment eu ni l'envie ni l'occasion auparavant, l'art, ça me passait au-dessus de la tête. Néanmoins, je ne pouvais plus regarder autre chose, comme hypnotisé par la concentration de l'inconnu et sa sensibilité qui apparaissait sur le dessin — que je n'avais pas encore vu — et dans ses petits gestes, dans ses yeux qui mémorisaient, interprétaient le moindre détail comme s'il était d'une importance capitale. Je ne pouvais comprendre comment un petit rien, un grain de poussière, une cendre fragile et délicate pouvaient représenter tout pour un artiste. Comme si ces derniers s'évertuaient à chercher, encore et encore, chercher une forme de perfection, une interprétation personnelle de ce qu'ils voyaient. Épris sans doute de la beauté du monde, amoureux d'une nature douce et violente, haineuse de la laideur, et sorte de médium entre les hommes banals et insensibles et entre des sensations que chacun pouvait ignorer. Je méprisais le savoir que les artistes pouvaient acquérir ; je honnissais les sentiments qui pouvaient les traverser, les bouleverser et les changer au point où une toile représentant une femme aimante avec un enfant dans ses bras, pouvait se métamorphoser en un crâne et un violon, une horde de vaniteux selon moi. Si l'Église se plaisait à gouverner une masse débile, des primates réduits à des charognards capables d'égorger leur propre petit, les artistes se trouvaient au-dessus des cloportes, sans pour autant atteindre les êtres doués d'une véritable intelligence.
Parfois méprisé par les uns, applaudi par les autres, un de ces spécimens exprimait son talent devant mes yeux carmin. À la fois dégoûté et subjugué, tout un tas de pensées vrillait mon crâne, nerveux et sentant mes muscles se raidir, je n'arrivais pas à y mettre clairement de l'ordre. Certaines prenaient le dessus sur d'autres, et seulement celles totalement humaines se détruisaient d'elles-mêmes,comme l'adoration ou l'admiration crevant dans une explosion d'organe et dans une gerbe de sang. C'était peut-être ça mon incompréhension envers ce jeune homme, ce petit être fragile devant moi qui tentais de graver pour toujours quelque chose de ma propre personne, c'était peut-être parce qu'il était trop humain qu'il pût se donner à l'art, tandis que l'humanité avait toujours été quelque chose de dégueulasse pour un coeur noir comme le mien. Et celui ou celle qui l'accompagnaient ? Ce que ça pouvait être ? Un autre artiste ? Un autre dessinateur ou peintre ? Oh ! Avais-je le droit d'examiner deux spécimens ? En lâchant enfin l'inconnu du regard, je posai mes yeux sur les autres traces de pas ; fronçant les sourcils, oubliant ce qu'il était en train de faire, j'essayais de déterminer la corpulence de la personne. Ce n'était pas un obèse ou un mastodonte, même si ce n'était pas un grand échalas sans cervelle, faisait-il ma taille ? Je comprenais que ce n'était pas une femme simplement parce que la trace du pied n'était pas menue, légère, mais bien lourde comme celle d'un homme. Je haussai les sourcils, trouvant quelque chose de curieux dans les gestes gravé dans les champs, un pli se forma sur mon front, tandis que j'entendis l'autre m'appeler. Tournant la tête vers lui, croisant les bras et me redressant, je repris exactement la même attitude que celle de tantôt. Hautain, un mépris que je ne prenais même pas la peine de voiler se peint sur mes expressions. Arrogant et orgueilleux, je n'acceptais jamais l'autorité, enfin pas dans ce genre de situations. Mordant ma lèvre, plissant les yeux, je déclarai sur un ton qui se voulait incisif et brutale :
— Et alors ?
C'était exactement le même ton que celui de tout à l'heure, princier et ne supportant pas l'autorité, je refusais toujours de me montrer poli et même sympathique. Et puis personne ne s'attendait à ça avec moi, pas même l'artiste qui venait de me donner quelques instructions. Or, avant qu'il ne se décide à ouvrir la bouche pour répliquer — ou pas — je me massai brusquement la nuque, ainsi que les tempes avant de rouler un peu mes épaules. Il n'avait pas si tord que ça finalement. Serrant la mâchoire, je finis par obtempérer, tandis que mon corbeau se reposa sur mon épaule, après s'être envolé pour me permettre de bouger. Cependant, il ne fallait en aucun cas voir ça comme de la bonne volonté, c'était juste parce que j'avais décidé que ça serait comme ça. Et puis le temps me touchait — même si je ne le reconnaissais jamais, je garderai pour toujours et même jusqu'à la Mort mon orgueil — inconsciemment, cette histoire aussi me montait à la tête. Ne faisant cette fois-ci plus le moindre mouvement, véritable statue blanche dans un champ aux couleurs chaudes, je cillai à peine quand je posai pour la dernière fois mes yeux dans ceux de mon interlocuteur. Décidé à ne plus rien dire et ne rien faire, si la position que je venais de prendre ne lui plaisait pas, eh bien qu'il fasse avec ! Eh quoi ! Je n'avais jamais été un grand orateur et encore moins quelqu'un de sociable, il ne fallait pas trop me demander, à moins de voir un magnifique bain de sang dans une après-midi ensoleillée. Il ne manquait plus le chant des oiseux et le roucoulement ridicule de deux adolescents aux hormones trop présentes, et le tableau serait parfait ! Et il avait intérêt à être parfait.
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| | | | Sujet: Re: Les blés qui poussent sont-ils les larmes de la Terre ? Jeu 18 Nov - 21:59 | |
| [Je suis désolé du retard... Et du manque d'inspiration. >.<]
Il y eut une parole tranchant l'air comme un couteau tranchait un steak. Heinrich ne répondit rien. Au contraire, il inclina légèrement la tête tout en plantant son regard bleuté dans les prunelles de lave de son sujet. Il avait l'habitude des caprices. Il fallait de l'argent pour se faire peindre. Et les riches sont habitués à ce qu'on obéisse à leur mille volontés. Ils payent des gens pour cela d'ailleurs. Une parole peut trancher sauf si elle s'enfonce dans quelque chose de mou, qui plie mais ne cède pas.
D'ailleurs, l'homme au corbeau suivait ses instructions. Il s'empêcha un sourire et dissimula son embryon en suivant l'oiseau du regard. Jamais il n'avait vu un tel volatile aussi attaché à un humain. Ils devaient se connaître depuis l'œuf sans aucun doute. Le perchoir était à nouveau immobile, Heinrich s'arrêta de contempler le sombre conscience de son blanc juchoir pour se remettre à dessiner ce dernier. A nouveau, comme plusieurs fois depuis le début, il changea de page.
Au loin le vent seul faisait bruisser les gerbes de blés. Jésus ne faisait toujours aucun bruit, il savait être immobile et silencieux pendant des heures et lui casser les pieds de son bavardage en à peine cinq minutes. Là, on était évidemment dans la phase calme et il appréciait cela pour sa concentration. Au près, seul son fusain faisait bruisser le papier. Il regrettait le manque de couleur. Il avait bien un matériel d'aquarelle non loin mais il aurait fallu avoir de la couleur à jucher sur le papier.
Dans un sens, il était content, il n'avait jamais eu à faire autant attention aux nuances de gris, au passage entre l'ombre et la lumière. Les croquis s'enchaînaient jusqu'à atteindre des portraits plus fouillés, plus maîtrisés, plus attentionnés. De temps à autre, Heinrich se mordillait la lèvre sous la concentration. Dès qu'il avait fini un détail litigieux, un obstacle sur le moment insurmontable, il fêtait sa réussite par une respiration plus profonde et une langue qui humidifiait sa lèvre inférieure.
Finalement, le temps passait et Heinrich finissait son dessin. Il leva la tête. L'atmosphère se faisait plus sombre. Non pas que les nuages s'amoncelaient mais que le jour baissait. Il ne pourrait pas s'entraîner aujourd'hui à utiliser son pouvoir, c'était définitif et aussi inéluctable que la mort pour toute chose vivante. Alors, il reviendrait. De toute façon, il n'avait pas tout perdu : n'avait-il pas pu s'entraîner à son art ? C'était plus satisfaisant.
Heinrich releva la tête, un sourire satisfait et joyeux aux lèvres. Il se leva, prenant garde à ne pas montrer ce qu'il avait fait, s'amusant à garder le suspense, riant intérieurement de se faire grandir l'impatience au sein de cet importun opportun. Il s'approcha un peu, déchira la feuille et annonça :
"Chose promise, chose dûe. Il est à vous. Au revoir, citoyen."
Heinrich se détourna, commença à refermer son cahier, à ranger son matériel tout en appelant son esclave de son prénom et en le prévenant qu'ils allaient rentrer. Il lui donna ses affaires à porter puis s'en retourna sur les chemins de la capitale sans jeter un autre regard en arrière. Il avait eu tout le loisir de le détailler et il en emportait plein son cahier.
Ce fut au bout de quelques pas que soudain il se rappela. Un homme blanc avec un corbeau. C'était une rumeur de promotion au monastère pendant qu'il terminait les décors de la salle à manger. Il avait croqué un ecclésiastique pendant des heures ? Il eut un petit rire. Si l'albinos avait su qui il avait en face de lui, il aurait pu terminer en miettes. |
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