Il goute une dernière fois le calumet..son frêle poignet fait valser le manche. Il adore que la fumée tournoie..
"On est des anarchistes, tu saisis ? Mais on est pas des héros. Pas des martyres. Pas des idéalistes." dit-il
"On est pas comme les philosophes alors..."
Sa main de sculpteur agrippe les lourdes mèches des cheveux de Prysme. Son visage est piqué vif par un large sourire.
" Aaaah..Prysme, les philosophes actuels..c'pas ce que tu crois. ...Moi, je suis déjà vide..Mais toi, toi, Prysme..Ton utopisme, ta douceur, ta putain de réflexion. Si je t'avais pas autant pourrie, tu aurais pu être une philosophe. Une vraie, de celle qu'il faut chérir " se languit-il, et dans ses deux yeux de miel brille une lueur de vaine jalousie..
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La permission donnée est tellement moins précieuse que celle qu'on dénigre. Parce que de cette dernière, si on enfreint les règles, on se sent si courageux!
Moi, j'ai jamais osé...
Lever le petit nez, plisser les petits poings, ouvrir ma petite gueule. J'étais une pétoche...comment j'aurais pu?
Déjà le jour où je me suis pointée dans ce monde de merde, je voulais pas sortir. Doigts visqueux, puants et faibles qui tentent de se raccrocher à la paroi utérine. Ca a poussé, ça a envoyé chier les sages-femmes, linges à la main et gestes automatiques, et ça a dit de ces bordels de phrases pas recommandables. Mon passage à la réalité s'est pas fait 'dans la dentelle'. Mais il fallait l'excuser, ma petite maman. Quand on a dix huit piges, des seins encore fermes et un rôle d'objet sexuel à tenir..accoucher est une étape particulièrement détestable.
Maman devait extirper cette vermine qui lui bouffait le bedon, qui lui pourrissait la vie. Une énorme bactérie pulsante et tremblotante, une masse veineuse prête à éclater, un virus, une MST : pour elle, c'est ce que j'étais.
....Ouais.
Vous vous attendiez à autre chose ?
Ah. Ah. Ah, putain, que vous pouvez être niais.
J'étais la fille biologique d'un objet posé dans les chambres d'une maison close, et d'un esclavagiste. A peine arrivée que c'était déjà -ce qu'on appelle communément- de la merde.
Le soir incombait l'envie de se détacher de l'habituelle personnalité, pour draper un long tissu de rêve. Ornée d'étoiles, d'une grosse lune pleine et ronde, et croire qu'il existait une possibilité pour que tout s'inverse. Que la réalité se mute en chimère, et que cette dernière fusse une vérité.
Un joli bébé qui pèse lourd sur la balance et qui ne pleure pas fort. J'étais parfaite pour grossir les rangs d'une famille respectable et stérile..en échange de quelques compensations.
Adieu papa, adieu maman, je prenais le large direction Gells..et ma nouvelle fratrie m'éduquerait dans le mensonge.
Wououuuu, quelle veinarde, ça risquait d'être mé-mo-ra-ble !
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"- Lilith! Veux-tu bien cessé de poser tes coudes sur la table !
- Pourquoi..peux pas ?
- Non, Lilith, tu ne peux pas. Parce que cela, les nobles ne le font pas.
- On est nobles?
- Évidemment, quelle question!!"
Non, on en était pas. Un groupe d'informateur qui rêvait de posséder des ancêtres de renoms, ils avaient un malaise..voulaient me le véhiculer. Comme on véhicule la lèpre en croyant que cela donne un bon teint.
Mais ça n'allait pas, je ne m'imbriquais pas dans l'encoche, dans le moule, dans ce palais roulant sur la mythomanie..
Et j'eus tôt fait de comprendre pourquoi.
Je ne sais plus ce que j'avais fait, ce que je faisais avant qu'ils en parlent. Rentrée plus tôt, pour quelle raison ? Et rentrée de quoi ? Nan, chai plus, d'ailleurs, je m'en fous.
Mes petits pas, portés par de fines chaussures taille sept ans, et mes couettes qui se dandinaient sur un tempo rapide. J'ai vu mes parents dans le salon, mais je n'avais pas jugé bon de les saluer.
Ils n'y avaient jamais rien eu de plus entre nous, que des accolades froides et distantes. Comme si je couvais une peste, à l'intérieur de mon corps faisandé.
Un soupir...un silence...un ange déchu du nom de machiavel, qui sait comment passer.
La porte entrouverte, et moi qui suis invisible..
Et j'ai entendu.
Que j'étais pas vraiment leur fille, que je venais de ce bordel dont j'ai oublié le nom.
Juste...Comme ça?
Comme on parle de ce qu'on va faire à dîner?
Comme on parle d'une météo assommante?
Ah bah ouais : comme ça.
Et, l'orage passe.
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Je vais pas vous conter ma croissance et le toutim.. Parce que , en toute franchise, je m'en souviens tellement peu.. 'Puis, je pense qu'il n'y a vraiment rien d'intéressant à souligner...si ce n'est peut être :
Un truc.
Pas plus grand que le carreau d'une fenêtre, au travers duquel on plonge son regard d'enfant...rêveur. Je voulais me casser, me barrer d'une maison qui -je le sentais- n'étais pas la mienne.
C'est comme si j'avais grandi en aparté, juste une plante qui pousse : sans les fruits, sans les fleurs.
Entre la prison et la rue, le choix est vite fait. (Si les détenus voulaient rester en tôle ça se saurait depuis une plombe.)
A douze ans je me suis extraite de la couche sirupeuse de cette famille. Première fois que je prenais un choix, indépendamment de mon entourage. J'en ressentais une certaine auto-satisfaction, vous savez, un peu comme quand on fait dégager un gros point noir sur une face imbibée de sébum.
J'étais bien loin d'imaginer que de la sanie allait me coller aux doigts..
Mes affaires enroulées dans un gros torchon propre, pieds nus - parce que sortir mes chaussures aurait fait naître un de ces boucans-, un large pull-over de ma "mère". Mon petit corps piqueté par la pluie qui bat et les pavés froids sous mes orteils.
C'est là.
Là, sensément, que j'aurai du prendre conscience de ce qui m'attendait.
Mais j'étais vraiment trop con.Il détestait sa situation de merde. Il détestait cette piaule moisie où les rats nous zieutaient de manière perverse. Il me détestait...et il détestait ce fait.
Mais il ne pouvait pas s'en empêcher...jamais. Il m'aimait trop pour ça.Là tout de go, je me souviens parfaitement de mon périple. Comme une chape de brouillard qui n'était finalement pas à couper au couteau..Il suffisait d'un souffle de vent : véhiculé par le plus gros des salauds.
J'étais une gosse qui ne pouvait que mendier. Et c'est ce que j'ai fait. Fut fut, ouais, mais le ventre creux vous fait réfléchir plus vite et donc, je n'ai pas perdu de temps pour capter -dans ma caboche- que de la nourriture ne serait pas chère payée.
Durant une semaine, j'ai fait cela. Une semaine où j'ai failli crever.
Puis, lui, il m'a repêchée..in-extremis, sur le rebord du haut trottoir.
Nerms.Mon corps pas plus pesant que celui d'une hirondelle à l'aile cassée, se faisant porter par un grand gaillard de dix huit ans, calumet en bouche. J'étais sûre que si je mourrais dans ses bras maintenant, ça aurait pu être chouette.
Et j'aurai mieux fait.
- - - - - - - -
Pas un ange, mais juste un homme amoureux des drogues douces, cabossé par l'existence, plus altéré par son environnement que réellement corrompu.
Un de plus, mais pas le dernier.
J'étais bien placée pour l'assurer..
C'était un méchant terroriste, le genre qui a laminé du peuple jusqu'à l'os..et pas en douceur. Oh non, le passage à tabac était une morsure qu'on ne trouvait pas en surface. Chez lui, mieux valait en finir soi-même.
J'ai gouté à ses moeurs.
Les premiers mois, rien, nada.. Il ne venait pas souvent dans la piaule et quand il venait, il savait garder ses distances. De temps en temps, il se démerdait pour dénicher de quoi me remplir l'estomac..juste le temps que je prenne l'habitude de m'auto-gérer.
Parfois, je le voyais guigner sur mon visage. Il bougeait rarement à ces moments là (c'était comme si, l'idée même de faire des mouvements allait lui faire perdre son sang froid.)
Si j'avais pu saisir, avant, le dilemme intérieur qui le tiraillait, le faisait souffrir à s'en faire plomber la cervelle..peut être que j'aurai réussi à changer les choses.
Mais non. Trop imbécile.
J'étais sa muse. Un petit bout de vraiment pas grand chose, qui choit là où il n'aurait pas dû. Des cheveux, qui s'éparpillent, ce froid, intense, et ce petit visage d'ange collé contre le sol terreux.
Et lui..lui, là, qui a cru sentir son coeur s'arrêter quand il m'a vue pour la première fois.
Pourquoi ? Si seulement il le savait lui-même.. (ça m'aurait évité pas mal d'emmerdes.)
Alors forcement, le soir où il est rentré avec le visage complètement tuméfié, titubant, poisseux d'un sang qui était déjà sec avec, dans ses yeux, un regard éberlué..et que MOI, moi, je me suis jetée à son cou sous le joug d'une trouille bleue.
Quand j'ai fait l'immense connerie de vouloir prendre soin de lui..
..ça n'a pas raté.
Un coup de poing contre ma tempe.
Ca ressemblait à celui qu'on se reçoit lorsqu'un gourdin vous écrase la mâchoire.
Le fer de ses phalanges, contre mon petit os.
Pof.
Mes dents se sont contre choquées.
Des étoiles ont dansé, devant mes yeux.
L'impression d'être bourrée sans jamais l'avoir été..
Muselée par le choc, figée par une constatation risible qui me foutait le coeur aux bords des lèvres..
J'ai entrevu sa rage au fond de ses prunelles, j'ai découvert la réalité de ce monde que j'avais voulu rejoindre...
Mes mains, retenues par les siennes.
De la haine, une loi implacable.
Et moi, l'immaculée, la vierge d'un monde puritain.
Je me suis même pas débattue.
Son froc, baissé.
Mon visage, impavide..
Et ce salop, ce salopard, qui me viole alors que j'étais seulement âgée de treize ans.
Avec, au fond de sa gorge, la même phrase qu'il lâchait par bribes.
Comme un appel à l'aide.
"Je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé."- - - - - - - - - - - - - - -
Une muse, c'est un peu comme une poupée.
Mais on arrive pas toujours à la choir.
Mais on sait pas comment s'y prendre.
Mais on peut pas se retenir.
Trop égoïste.Donc, on laisse tomber. Et on continue à vivre. Nerms me répétait tout le temps -histoire de me culpabiliser davantage- que j'avais une dette envers lui.
Aussi, que je ne connaissais rien de la rue...que j'aurais du m'y attendre.
Bah maintenant, sale co*illon, j'étais fixée? C'est ça que tu voulais me dire ? Stérile avant d'avoir ses règles, de devenir une femme...bordel de merde.
J'avais même pas eu le temps pour pleurer, pas le temps pour échapper mes sanglots lourds..sanglés. Pas le temps pour ça. Si je ravalais pas mon traumatisme, et ma fierté , j'étais morte.
Et j'avais quand même pas subi ces putains d'injustice pour crever comme ça, hein?
- - - - - - - - - - - - - -
Nerms décidait de tout à mon sujet. Je crois que..j'étais devenue un peu comme sa chose. Et j'aurais jamais osé me barrer de chez lui, parce que, si je l'avait fait, je suis persuadée qu'il en aurait eu mal à en crever. Littéralement parlant.
Et je tenais trop à lui.
.je tiens toujours trop à lui pour ça.
C'est paradoxal, ambigu, ouais. D'ailleurs vous pouvez le dire, allez-y, que je suis une masochiste fada.
A mes quinze ans je suis devenue très calée dans le genre assassinat discret. Une terroriste d'un mètre cinquante cinq, c'est le pied, je vous jure. Ca se faufile partout, ça joue le rôle de la souris qui couine trop bas pour se faire choper.
Et ça rendait service à Nerms, qui donnait l'impression de posséder un boulot monstre.
J'ai' muté (wouuu j'adore le terme utilisé), petit à petit...je me suis endurcie. Mon langage auparavant si...soutenu, est devenu nettement plus graveleux. (je pense que ça se voit..enfin je suppose, nan?) Mon innocence ne payait plus beaucoup de tickets d'excuses pour le paradis et quand j'avais eu à descendre mon premier client, Nerms avait posé sa main sur la mienne, qui elle-même tenait l'arbalète.
Fshh..
....Ca a troué l'air, métal froid dans un vide qui laissait libre cours aux actions de la flèche.
Et quand l'homme est tombé, face contre terre, j'ai serré les dents en me disant : "'t'inquiète pas , c'est rien, c'était qu'un méchant." Et même si je connaissais que dalle de la vie de ce nouveau cadavre, j'essayais de me convaincre que...
... j'avais fait quelque chose de juste.
Oui..
de juste.
Parfois, je me répète encore ça. C'est plus facile à tenir, psychologiquement parlant.
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"-J'ai un boulot pour toi, Prysme."Prysme, prysme.. Il m'avait filé ce nom, parce que -selon lui- je fraternisais toujours avec la lumière..mais jamais avec l'Ombre. Jamais.
A l'époque, évidemment, j'avais pas tout à fait saisi où il voulait en venir.
Il m'a tendu mon arbalète et puis..il m'a tout expliqué.
"Tu te lances cette nuit..'k? Y'a pas de raison de te miner, ça sera cool. Tu vois l'entrepôt? Celui que jt'avais montré la dernière fois ? J'veux juste que tu plombes les gens qui s'y trouvent. C'est tout."C'est tout.
Ah. Alors, si c'est tout...
pourquoi pas.Ma silhouette d'enfant maladif aux chaussures rapiécées, s'est faufilée dans l'entrepôt comme par magie. J'avais déjà ciblé le lieu, je connaissais beaucoup de passages de fortune
Il ne m'a fallu que cinq minutes pour trouver mes cibles.
J'ai calé ma flèche à l'horizontale, la faisant voyager de ma bouche jusqu'à l'arbalète. Dans l'entrepôt il faisait noir, mais pas assez pour masquer les masses informes semblant...dormir.
Et c'est ça, ça qui aurait dû me faire comprendre à quel point c'était louche.
Mais nan. J'ai fait mon boulot de merde, sans me poser de question.
Pshhh....
La flèche est partie. Elle s'est figée, dans la bonne partie du corps, sans rien lâcher de plus qu'un petit froissement dû aux vêtements. De telle sorte qu'ils sont morts avant même de le comprendre..
Mon professionnalisme n'avait pas été mis à rude épreuve, ils dormaient tellement bien...ils étaient si proches de moi.
C'était facile, trop.
Pshhh....J'ai réitéré, deux, trois fois.
Vers les ombres qui respiraient avec calme...
..c'était pas lâche.
Non, c'était juste. Parce qu'ils tuaient aussi des terroristes hein ? Des terroristes comme moi?
Alors bon..
Trois fois, de manière automatique.
Placer la flèche, cibler, tirer, placer la flèche, cibler, tirer..
Comme on plie le linge.
Comme on fait la bouffe...
...Sans rien ressentir.
Puis j'allais partir
Mais là, là là j'ai entendu.
Ce gémissement.
Comme un lourd murmure qui sortait de la bouche de...
de...
Nan, impossible.
Dîtes moi que..J'ai cavalé vers l'un des meubles sombres, j'ai tâté pour trouver quelque chose, pour allumer..mettre de la lumière, quelque chose.. Une main sur une lampe à huile, ca a vite éclairé.
Stupeur.
Non.
Oh non, non, non, non..
J'ai couru vers lui, je me suis écroulée à terre, j'étais incapable d'assimiler ce que je voyais devant mes yeux.
Incapable de dire un mot.
Un enfant. J'avais tiré sur un enfant.Une flèche proche du coeur, il portait ses petits doigts à sa poitrine, d'une manière inutile. Et moi j'ouvrais ma bouche à la manière d'un poisson hors de l'eau, le regard grand, immensément vide..trop éberluée par la situation pour assimiler que ..
que je..
"Ma..man?"Choc. J'ai été agitée de soubresauts convulsifs. Pile au moment où il a lâché son dernier souffle.
Et, face à son cadavre, j'ai capté.
Ma tête s'est tournée, lentement, avec précaution -comme si y aller trop brusquement la détacherait de son socle.
Je les ai vus, tous, tous, tous, TOUS. C'était...
...
Une famille....Allongée sur des lits sommaires . La mère, vers la gauche, une flèche en plein coeur. Le père, aussi et la fille, qui ne devait avoir que quatre ans,
dans la tête.Figés dans leur sommeil...
Et moi..et .moi...au milieu de ça..
Moi qui aie...
Un haut le coeur violent, une remontée de bile que j'ai vomis.
Cassé en deux, à genoux, j'avais l'impression que mon crâne allait définitivement exploser. Une main posée sur ma poitrine, qui se soulevait trop. L'autre, contre ma bouche.
J'étouffais, j'étouffais.. submergée par une incoercible sensation de noyade.
- - - - - - - - - - - -
"SALE FILS DE CHIEN!!! ORDURE!!" Haine, douleur.
Comme jamais..
Je sais pas comment j'étais arrivée là.
Je m'en foutais.
Je voulais juste lui faire mal, qu'il souffre
...qu'il souffre comme je souffrais !
Qu'il soit plus fort que moi.
Que les baguettes qui me servaient de bras pouvaient se casser, je m'en branlais.
Je me foutais de tout.
"POURQUOI ?!! POURQUOI EUX! POURQUOI TOI!"Une tornade, la porte de la piaule est sortie de ses gonds. Un saut, prodigieux et je suis tombée sur son corps de pourriture. En retombant la table s'est brisée. J'ai tapé, je lui ai craché à la face. Il a été tellement surpris, je crois, qu'il a pas eu le temps d'assimiler pour contrer.
CRAC, mon poing dans sa face éberluée, fêlure, son nez : cassé.
Qu'il pisse le sang, par tous les trous. QU'IL SOUFFRE COMME JE SOUFFRAIS A EN CREVER.
A en crever.
Choc.
Il m'a saisie par les hanches, m'a retournée. Roulé-boulé, je me défendais comme jamais je ne m'étais défendue contre lui.
Même quand il me forçait à coucher avec lui, je me défendais pas.
Jamais.
Mais là..là, là, quitte à en mourir.
Ploc, ploc, du sang qui coule de ses narines. Qui goute sur ma face blême, larmes rouges et brûlantes qui rongent mes joues.
"Pourr..pour..quoi? NERMS POURQUOI?!"J'éclate en sanglot.
Je n'en pouvais plus..je n'en pouvais plus...
"Prysme..Je suis désolé, je... suis désolé"Et j'étais prête à lui porter le coup de grâce. Il n'exerçait plus aucune pression..j'étais prête à lui arracher la peau de son visage, à la lui lacérer, à vif, le muscle, le cartilage, l'os, le laisser croupir dans son propre liquide lymphatique...tout, n'importe quoi ..
Mais.
J'ai eu le souffle coupé.
J'ai eu le souffle coupé, quand j'ai vu qu'il chialait avec moi.
- - - - - - - - - - - - - -
Rien.
Plus grand chose, en fait.
Mes bras, ceignant mes jambes.
Recroquevillée, sous le dôme d'une carapace, je me balançais.
D'avant, en arrière, d'avant en arrière, d'avant en arrière..
Et ce silence.
Ou peut être ma surdité, au milieu d'un monde..
...qui s'affichait ineptie
une illusion
qu'est-ce que j'avais fait? On pouvait bien me parler, peut être même le faisait-il.
Hein ? Il le faisait n'est-ce pas ?
Et il me touchait aussi c'est ça ? Je..je crois que ses doigts, contre mes cheveux ou
..peut être ses lèvres ?
...Frisson
Je voulais qu'il me lâche, qu'il se casse, qu'il me laisse, seule, seule..
"SEULE ! FOUS-MOI LA PAIX!"Ah. Choc. Comme réveillée d'un profond coma, j'avais relevé la tête après avoir crié.
Nersm était sur le pieux, tenant un large mouchoir contre son nez cassé. Un mouchoir déjà rougi. Loin de moi, donc..
Silence, lourd silence. Puis..
"C'était des traitres, des collabos. Tu connais le principe, leurs enfants auraient voulu les veng...""Ta gueule!!" je l'avais coupé, net. C'en avait été quasi-instinctif. L'entendre était tellement détestable en soi, de plus, comprendre qu'il disait du mal de cette famille..me retournait l'estomac.
Même si, au fond de moi, je savais qu'il avait raison. Même si ces pseudos-parents avaient pu vendre d'autres familles, engagés d'autres bambins, le regard de cet enfant avec MA flèche plantée dans SON coeur..
...c'est tout ce que je retenais.
Jamais, jamais je n'ai pu l'oublier.
- - - - - - - - - - -
Physiquement, il n'y avait aucun changement opéré. Au creux de ma tête néanmoins.. Comme une coquille sclérosée, une impavidité renforcée à un point tel que j'étais un automate. On dit que le temps fait oublier.
Ah ah AH. Ouais, je suis juste devenue davantage cinglée. Avec ma tronche de mercenaire mal placée, j'ai calqué mon comportement sur celui de Nerms.
Je commençais à le comprendre, à saisir toute l'ambiguïté de son comportement.
Et je ne lui en voulais même pas.
...Comment aurais-je pu ?
Je me suis renseignée sur le statut politique mais aussi le passé de toutes ces querelles. Parce que je détestais être ignorante. Et, aussi, peut être un peu, parce que je me voulais respectable..
Mais Ah. Le voilà : le problème.
J'avais choisis ma voie.
Celle qui avait fuguée de chez une famille auguste en apparence, c'était moi.
Celle qui était devenue une sorte de pantin pour un homme moralement ravagé, c'était moi.
Alors, non, résolument, et en pleine conscience de mes capacités..je crois que, j'ai quelque chose de malsain en moi.
Très malsain.
J'ai commencé à fumer le calumet, à bousiller ma gencive avec de la chique. C'était cool, ça faisait classe d'être déjà foutue à l'âge de seize ans. Puis, par la suite, on a beaucoup bougé.
Une roulette russe où les balles possèdent des inscriptions : se planquer, toujours regarder derrière soit, quantifier ses années qui ne furent qu'une merde mélangée de plusieurs composants nauséeux. Hihihihihi, chouette!
Et le pire dans tout ça, vous savez quoi ? Ben c'est que..rien a changé.