Cette nuit c'est nuit de fête ! Il y a un banquet au village, on fête l'union de deux vies jusqu'à ce que la mort les séparent. Ou les unissent. Oui chacun riait dans la pièce car une plaisanterie scabreuse sur les nouveaux mariés avait été lancée. La demoiselle dans sa splendide robe nacrée se colorait de rouge jusqu'aux oreilles. L'air était tiède à l'intérieur, il n'y avait pas de buée qui sortait de leurs bouches et leurs poitrines de se cherchait pas à se rompre sous les assauts de leurs coeurs contre l'intérieur de leurs côtes. Le sang ne leur battait pas les tempes, leurs oreilles ne bourdonnaient pas sous l'effort. La jolie mariée cherchait autre chose à dire, quelques choses pour détourner la conversation d'un sujet qui l'indisposait au plus haut point. C'est alors qu'elle remarqua de la buée sur la vitre en face d'elle. Son visage magnifiquement maquillé s'était froncé puis ses yeux s'étaient agrandi sous l'effroi. Au travers de l'auréole humide à l'extérieur de la vitre, elle avait vu un visage. Le nez collé contre la vitre et de grandes pupilles bleues avides. La mariée ne pouvait plus détacher ses yeux sur verre, comme hypnotisée par cette couleur vive presque fantomatique, puis le nez et les yeux s'évanouirent dans les ténèbres nocturnes. Son époux posa une main sur l'épaule afin de ramener sa femme à la réalité. Elle battit des cils comme si on venait de la réveiller d'un profond sommeil. La mariée lui sourit tendrement. Oui aujourd'hui était le plus beau jour de sa vie autant en profiter !

Soudain il y eut un cri furieux venu du dehors, une rage indicible qui était à deux doigts de faire vibrer les murs. Ce son lui rappelait étrangement les cris qu'utilisent les hommes pour se donner de la force, mais la voix était plus aigüe. Tout le monde dans la salle s'était figé, cherchait à identifier ce cri de mauvais augure à une heure si tardive. Et ce fut la panique. La vitre explosa en milliers d'éclats acérés alors qu'un corps humain traversait l'ouverture. Le cadavre du soldat atterrit sur la longue table de bois massif encore chargée de victuailles. Le visage tordu par l'horreur, la gorge noyée par une plaie béante qui déversait un sang poisseux sur les plats encore tiède. L'uniforme commençait à s'imbiber du liquide pourpre pendant que des spasmes agitaient les jambes. L'homme porta les mains à son cou pour tenter d'endiguer le fluide qui l'étouffait. Son poitrail puissant avait beau se contracter pour cracher le sang, dès qu'il se gonflait pour aspirer de l'air l'hémoglobine avançait encore davantage dans sa funeste tâche.

Réflexe maternel, les femmes avaient caché les yeux des plus jeunes. La mariée elle était insensible à tout ça. Non, son mari avait beau la secoue par les épaules pour qu'elle se ressaisisse, il avait beau hurler son nom pour couvrir les pleurs enfantines, la belle mariée à la robe de nacre, désormais éclaboussée du sang d'un inconnu, était de nouveau hypnotisée par les yeux bleus qui l'avaient fixée au travers de la vitre. Cela devait être le plus beau jour de sa vie. Puis l'homme suivît le regard et découvrit la cause de tout ceci. La cause de ce désastre. Debout dans l'encadrement de la fenêtre se tenait une jeune femme. Une adolescente aux yeux exorbités, déments. Au début il crut même qu'elle n'avait pas de pupilles tant les fentes verticales qui avait ce rôle étaient contractées, une légère fissure dans un abîme d'azuré. Son visage, constellé de sang séché, était figé dans un sourire sans joie, une sorte de rictus satisfait et écoeuré. Ses épaules fines se soulevaient au rythme de sa trop rapide respiration saccadée. Ce monstre venait de tout gâché. Le marié se détourna d'elle pour reporter son attention au cadavre qui venait d'expirer pour la dernière fois.

Il y eut un claquement de porte. L'un des invités le plus proche de l'ouverture venait de s'enfuir ou d'aller chercher du secours. Une cousine de sa moitié suivît le mouvement en hurlant et se fut bientôt tous les invités qui en firent de même. Comment réagir dans une situation pareille ? Le vent frais de la nuit s'insinua dans la salle de fête. Il cligna des yeux et l'adolescente n'était plus là. Disparue. Il cligna encore des yeux et elle se trouvait accroupie au-dessus du cadavre, ses genoux de part et d'autres du corps, ses pieds nus aux ongles griffus enfoncés dans le bois de la table. Elle avait un couteau qu'elle tenait à deux mains. Sa bouche juvénile s'ouvrit dans un nouvel accès de rage.


«  GRAAAAAAAAAAAAA !!!!!!!!! Mes SOUVENIIIIIIRS !!! Je ne veux PAS ! OUBLIÉ ! VEUX ! PAAAAS !!! »

Elle ponctuait chacun de ses hurlements hystériques d'un coup de couteau dans le torse du cadavre. Il était mort, pourquoi cet acharnement ? Le marié ne voulut pas en savoir davantage cela était déjà de trop ! Il saisit sa femme dans ses bras et l'emporta le plus loin possible de cet être dégénéré. La belle mariée d'il y a quelques heures ne semblait pas totalement consciente de ce qui lui arrivait, son regard était toujours fixé droit devant elle comme si elle était toujours hypnotisée par les yeux bleus derrière la vitre. Ses jambes volaient au rythme de la course de son mari, qui la portait dans ses bras comme il l'avait fait en sortant de l'église, on eut dit une poupée de chiffon grandeur nature.

Étrangement ce ne fut pas le départ du couple qui stoppa les va et vient de l'acier dans la chaire, mais le silence soudain du lieu. Remarquant qu'elle était seule l'adolescente abandonna l'arme entre les côtes du soldat. Ses yeux se dilatèrent et ses pupilles verticales redevinrent normales. Elle s'assît sur le ventre du corps et se redressa en s'appuyant sur ses bras. Minako pencha la tête sur le côté et regarda autour d'elle. La pièce avait été richement décorée, des fleurs et chandelles étaient suspendues au plafond, des pétales de roses avaient été saupoudrés entre les assiettes laissées à demi pleine. Ici et là, des coupes de vin renversées tentaient d'imiter les auréoles de sang sur la nappe rose pâle. Les chaises avaient été repoussées contre les murs, certaines étaient par terre et en dessous d'elles une chaussure oubliée dans la fuite des invités. Il y avait aussi des châles et des vestons éparpillés sur le mobilier. Minako pencha la tête de l'autre côté. La nourriture était encore tiède, elle sentait bon. Une odeur que connue et sans nom. Une odeur agréable de veaux aux olives et de bouchées à la reine. Les mains rougies par le sang qui avait suinté du mort, elle s'empara de l'assiette la plus proche et entrepris d'en vider le contenu en quelques coups de fourchette. Le plat vola contre un mur, suivît d'un second et d'un troisième. Toujours assise sur le bas ventre du soldat, elle mangea jusqu'à ce que le boucan d'une course d'hommes emplisse la rue.

L'hybride étendit ses jambes en direction de la fenêtre éventrée. Ses mains frôlèrent l'encadrement en bois et ses pieds se balancèrent à l'extérieur. La plante de ses pieds toucha tout juste le sol dallé de pierres lisses froides qu'elle le quittait déjà pour la roche plus rugueuse d'un rebord de fenêtre à l'étage. Les invités revenaient sur les lieux du macabre spectacle avec la garde. Minako atterrit en silence sur les tuiles du toit. Elle s'essuya la bouche d'un revers de manche sans prendre garde qu'elle ajoutait de nouvelles traînées de sang sur sa joue. Non elle n'oublierait pas. Elle avait promis que le mariage ne la ferait pas oublier Mathilde ! Elle avait promis que les souvenirs heureux ne disparaîtraient jamais ! Même si elle se trouvait quelqu'un pour l'aimer plus que Mathilde. C'était un jour heureux après tout. Le jour du mariage est censé être le plus beau de sa vie.