À l'attention du prêtre supérieur Nemesio Ponti

À l'attention du fidèle de l'Ombre,
le prêtre supérieur Nemesio Ponti
et Scribe de l'Empereur,

Cette missive est dans l'intention de vous faire part de mon arrivée prochaine. L'Église étant présentement dans la situation quelque peut unique que vous lui connaissez, j'ai cru plus avisé de vous informer de ma venue prochaine faute de pouvoir en informer le défunt Haut prêtre (qu'il nous guide toujours avec l'Ombre).

Je conviens que cette missive est impromptue et que, n'ayant pas de supérieur officiel à la tête de nos rangs, ma décision de faire parvenir cette annonce à votre attention précise, quelque peu surprenante.

Pardonnez-moi, je m’égare. Je suis Yowski Zaïtsev, prêtre de la région de Gells et ancien apprenti du défunt prêtre Isvonsh. Mon mentor, qui a rejoint l'Ombre et sa magnificence, m'avait donné certains contacts dans la capitale avec qui correspondre, de là ma connaissance de votre rôle dans notre Ordre.

Comme je vous l'ai écrit un peu plus tôt dans ce message, je compte venir m'installer définitivement dans la capitale afin d'aider et servir l'Ombre et le peuple dans ces temps difficiles. Je vous saurais gré d'en aviser ainsi les autres supérieurs de l'Ordre pour éviter toute confusion à mon arrivée au temple. Si des chambres sont toujours disponibles au temple, je serais désireux de pouvoir dormir dans les lieux sacrés.

Cette lettre se voulait une annonce de courtoisie à mes confrères, mais je vous inviterai à ne pas attendre ma venue trop rapidement, mon voyage risque de comporter quelques détours. Je devrais cependant me présenter au temple au cours du mois.

L'Ombre vous garde.

Yowski Zaïtsev
Serviteur de l'Ombre

La lettre vint se joindre à l'immensité de la paperasse que Nemesio avait à traiter chaque jour. Après tout, Ezhekiel Ier lui avait confié le poste de Scribe impérial pour remplacer Ann Talfingen, son Intendante. Ainsi, du papier, il en voyait tous les jours. Il sourit en la lisant. Son auteur devait sans aucun doute être un fanatique et, à l'instar de beaucoup de gens au sein de l'Eglise, il ne devait pas apprécier ce que l'Empereur faisait avec l'Eglise.

Frère,

Je vous suis gré de l'intérêt que vous portez à la vie de l'Eglise. Comme je suis certain que vous avez l'autorisation du Grand Prêtre de Gells pour venir à la Capitale, je vous souhaite déjà la bienvenue.

A votre arrivée, n'hésitez pas à vous adresser au Père Auderic, au Monastère de la ville. Il se chargera de vous accueillir comme il se doit. Votre venue coïncide avec une lourde charge de travail au sein de notre Ordre, ainsi donc votre aide nous sera des plus utiles.

Je suis certain que votre maître connaît déjà l'harmonie éternelle au sein de l'Ombre. Il l'a amplement méritée. Ce sera un plaisir d'accueillir son apprenti parmi nous, à la Capitale. Je vous recommande néanmoins la plus grande prudence. Les temps sont troublés, notre Empereur nous guide de son mieux au travers d'une période sombre. Ne perdez jamais cela de vue.

N'hésitez pas à me rendre visite, au Palais de sa Majesté, une fois que vous aurez fait connaissance de la ville. Je suis certain de pouvoir vous aider, si vous souhaitez servir notre Sainte Mère l'Eglise.

Soyez en paix,

Nemesio Ponti

Signature, plis, sceau. Nom du destinataire. Et voilà une nouvelle chose sur la pile des courriers à expédier depuis le bureau du Scribe. Nemesio passa une main sur son visage. Intéressant. Un nouvel arrivant, frais et étranger aux complots politiques rongeant la Capitale. Probablement un genre d'idéaliste, fou de l'Ombre et aveugle aux réalités du pouvoir. Il ne tardera pas à ouvrir les yeux, bien sûr.

Cela dit, le plus important était qu'ils pourraient bien s'entendre, tous les deux. Tout le monde avait besoin d'alliés sûrs, Nemesio aussi. Et il avait toujours plus facile d'échanger les courriers plutôt que de discuter avec les gens en personne. Allez savoir pourquoi.

L'air glacial du début de l'hiver harassait Yowski depuis la matinée. L'hiver de la capitale n'avait définitivement pas la clémence que les citoyens de Gells lui attribuaient. Il tira sur les pans de son long manteau noir, désormais agrémenté d'une capuche de fourrure blanche, dans le vain espoir de réchauffer son corps. Il eut un large sourire. La capitale était réellement fascinante.

Un des gamins pour qui il avait acheté du pain dans les derniers jours vint le rejoindre sur le banc de pierre. Yowski n'avait toujours pas éprouvé le désir de rejoindre les vieux croulants au Monastaire, malgré que l'omniscience lourde et silencieuse des lieux saints lui manquait. On l'apercevait donc toujours, une figure sombre errant dans les recoins de la ville. Il avait cependant pris l'habitude de venir s'asseoir à l'endroit précis où il se trouvait à nouveau, avec une vue sur le magnifique palais impérial. Les gamins errants que l'on employait comme courriers partout dans la capitale ayant remarqué le prêtre, cela n'avait pris que quelques jours avant que ceux-ci ne s'attroupent tous les midis. Yowski prenait son temps et à chaque fois, attendait patiemment. Des fois deux heures, parfois trois, jusqu'à ce que ses doigts soient complètement insensible au froid. Il récitait les apprentissages de l'Ombre à haute voix et finalement, à la grande joie des gamins, allait acheter du pain et faisait la distribution.

Aujourd'hui, il était présent plus tôt qu'à l'habitude. Le gamin aux cheveux de feu l'approcha joyeusement.

« -Prêtre Zaïtsev! Il y avait une lettre pour vous sur le bureau du scribe! Apparemment, elle avait été retournée de Gells car vous étiez parti avant son arrivée. Je l'ai attrapé quand le scribe ne regardait pas! »

Fier de son coup, l'enfant brandissait la lettre froissée entre ses petits doigts.
Après sa lecture, Yowski donna quelques pièces à l'enfant qui déguerpit.

Le lendemain, Yowski confia au gamin sa réponse.

À l'attention du fidèle,
le prêtre supérieur Nemesio Ponti,

Un jeu du hasard m'a mis en possession de la précédente lettre que vous m'avez adressée. Je vous remercie de votre accueil et de votre bienveillance à l'égard de mon mentor. Sachez que votre mise en garde n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd et que je saurais m'y tenir. J'ai trouvé foyer dans un des temples de l'Église, n'ayant pas pensé qu'on attendait ma venue au Monastère. J'y ferai chemin dès que possible.

Ma seule volonté est de servir l'Ombre toute puissante, c'est pourquoi j'aimerais grandement vous rendre visite dans au matin de la troisième nuit à venir. J'ai beaucoup de questions sur le fonctionnement de notre ordre dans la capitale et je vous saurais gré d'y répondre. De plus, je me sens quelque peu perdu dans une cité aussi grande, j'avoue ne savoir où commencer pour soutenir l'Église.

Que l'Ombre veille sur vous,

Yowski Zaïtsev

C'était un magnifique lot de mensonges, évidemment. Mais Yowski ne savait pas de quel côté de ce grand conflit le prêtre supérieur se trouvait, il valait donc mieux l'approcher avec caution. La rencontre lui permettrait de déterminer cela. Il fallait que Yowski joue l'ignorant franc, ainsi Nemesio penserait qu'il n'était qu'un autre fanatique imbécile, incapable de penser en dehors des Écrits de l'Ombre.

Ses longs doigts rougis par la morsure du froid amenèrent une cigarette à ses lèvres bleutées. Peut-être même que le scribe serait intéressant?