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| Sujet: EUGENE&R.ISABELL ஐ un réveil difficile. Dim 29 Jan - 16:22 | |
| EUGENE&R.ISABELL un réveil difficile. Le soleil se levait seulement sur Ishtar mais Eugene était encore debout. Confortablement installé dans un large fauteuil, les yeux rivés sur un énorme livre, il faisait des recherches. Il avait toujours été facilement en proie aux insomnies et cette nuit encore, il n'avait pas réussi à trouver le sommeil. Un bon feu ronflait dans la cheminée et un thé à moitié bu reposait sur la petite table à côté de lui. Depuis le temps, le liquide était totalement froid mais le jeune homme était bien trop captivé par les lignes qu'il lisait pour s'intéresser à l'état de son thé. Il tenait là un ouvrage très rare dans lequel l'écrivain, un proche de l'aristocratie du Khini Lao, relatait la manière dont un embaumeur avait été capable de faire en sorte que le corps d'une des dames de la haute de cette contrée soit conservé durant de longues semaines, même dans la mort. La vieille femme, un peu égocentrique, avait passé sa vie à chercher un moyen de survivre aux affres du temps sur un cadavre et avait trouvé l'homme qui avait entrevu une solution, de toute évidence. C'était tout à fait passionnant. Son corps était resté quasiment intact pendant près d'un mois avant de commencer à se décomposer. Qu'est-ce qui avait permis une telle conservation ? Et pourquoi s'était-il décomposé après tant de temps ? Eugene n'y comprenait rien et cela l'agaçait autant que ça le fascinait. Il avait besoin de savoir ; malheureusement, il n'avait là que les propos d'un homme extérieur et non celui de l'embaumeur qui était sûrement mort depuis des années maintenant. Néanmoins, il commençait à se demander si un voyage jusqu'au Khini Lao ne vaudrait pas le détour. Après tout, il n'avançait pas beaucoup plus ici, dans son laboratoire, il avait plutôt l'impression de reculer. A chaque fois que l'association de certains produits semblait avoir un effet positif sur la décomposition des morts, il fallait qu'un autre obstacle se dresse. Eugene ne savait plus où donner de la tête.
Un profond soupir retentit dans toute la bibliothèque et il referma l'épais livre d'un claquement sec qui résonna dans la vaste pièce. Il passa une main dans ses cheveux et posa le livre sur la table à côté de lui avant de se redresser. Ses articulations craquèrent douloureusement et Eugene s'étira longuement en grimaçant. Il passa ses deux mains au niveau du bas de son dos qui le faisait souffrir depuis quelques heures déjà. Le jeune homme se dressa alors face à sa fenêtre où pointaient les rayons d'un soleil un peu timide. Quelques silhouettes traversaient déjà la rue, ivrognes rentrant chez eux en titubant ou ouvriers courageux allant travailler d'un bon pas. Peu importe qui ils étaient, ils finiraient tôt ou tard sur une des tables de travail qui se trouvaient dans son laboratoire. Soit parce que leur famille payerait une fortune pour ses services d'embaumeur, soit parce que des âmes généreuses déposeraient leur cadavre pour qu'il puisse faire tout un tas d'expériences dessus.
Eugene esquissa un léger sourire. A vrai dire, les magnanimes en question espéraient surtout que l’embaumeur leur filerait une petite piécette pour le déplacement et la chair fraîche nouvellement apportée, ils ne faisaient pas ça de gaieté de cœur puisque s’approcher de sa vaste demeure avait tendance à leur faire peur. Ils savaient que des cadavres s’y trouvaient et cela n’était pas pour les rassurer, certains étaient très superstitieux. De plus, ils savaient très bien ce qu’Eugene avait tendance à mener comme genre d’expériences, tard le soir. Mais l’embaumeur n’était pas du genre à se formaliser de l’opinion des autres. Après tout, il restait celui auquel on faisait appel quand on avait un mort à enterrer. Mieux encore, il s’était fait un nom auprès des nobles d’Ishtar et s’était occupé de « grandes » personnes. Plus grandes que lui qui n’était que Vicomte. Alors l’opinion du petit peuple ne lui faisait pas grand-chose. Au contraire, voir une petite lueur inquiète dans leur regard lorsqu’il leur ouvrait la porte avait quelque chose de très drôle, de délectable même.
Eugene, un peu lassé d’avoir fait la même chose toute la nuit, quitta la bibliothèque pour prendre la direction de la vaste cuisine dans laquelle Rosaline s’affairait déjà. Il s’immobilisa, surpris. « Que faites-vous levée de si bonne heure ? » demanda-t-il à la femme qui le servait depuis qu’il vivait seul à Ishtar. La servante un peu rondelette sursauta, surprise de l’entendre et tourna son visage jovial vers lui. « Je prépare le petit-déjeuner ! Erik ne devrait pas tarder à se lever et j’ai vu que vous n’étiez pas couché, j’ai pensé que cela vous ferait plaisir de manger quelque chose. » Eugene leva les yeux au ciel et s’avança vers elle pour regarder ce qu’elle cuisinait. Il y avait là des œufs, un peu de viande et de l’eau chauffait pour le thé, un peu plus loin. « Je vais finir par m’en vouloir, Rosaline, vous vous préoccupez bien trop de ma santé. » Elle brandit immédiatement sa cuillère en bois vers lui, un air menaçant sur son visage d’ordinaire souriant. « Si je ne m’en inquiète pas, personne ne le fera ! A part peut-être Erik. Allons, allons, allez vous asseoir, Monsieur Crowley, je m’occupe de tout. »
Le jeune homme, chassé de sa propre cuisine – bien qu’il y passât si peu de temps qu’en réalité, la pièce appartenait plus à la vieille femme – décida d’en sortir non sans ajouter un : « Je vous ai déjà dit de m’appeler Eugene, » qui fit sourire Rosaline. Elle avait servi bien d’autres personnes avant lui et l’embaumeur savait qu’elle ne saurait s’y résoudre, mais il ne pouvait jamais s’empêcher de le lui rappeler. Il était bien placé pour savoir que tous les êtres humains étaient égaux et puisque tous finiraient de la même manière, pourquoi placer autant de différences entre les hommes ? Eugene trouvait cette attitude stupide mais il avait également conscience qu’il ne changerait pas des siècles d’habitudes. De plus, il ne pouvait nier que ses privilèges lui plaisaient beaucoup. A peine eut-il le temps de s’installer dans la salle à manger que son majordome, Erik, faisait son apparition dans la pièce. Il était habillé, coiffé et se tenait bien droit, comme toujours. Cet homme était incroyable. Eugene était une épave au réveil, peu importe le nombre d’heures qu’il avait dormi alors voir Erik et Rosaline aussi frais et prêts à travailler de si bonne heure l’épatait. A vrai dire, il adorait les observer. La vieille femme était d’une bonté incroyable, toujours prête à remuer ciel et terre pour lui. Quant à Erik, il l’avait toujours servi avec un dévouement incroyable. Et puis il devait bien avouer que cet homme âgé d’une bonne trentaine d’années était plus qu’agréable à regarder. Un léger sourire vint fleurir sur les lèvres d’Eugene qui salua l’homme à son service. Au même moment, de gros coups frappés à la lourde porte d’entrée retentirent. Le jeune homme fronça les sourcils, intrigué, et fit signe à son majordome qu’il y allait. Eugene se redressa donc et épousseta un peu ses vêtements froissés – après tout, il avait passé la nuit assis à lire – avant de se diriger vers la porte d’entrée. Il l’ouvrit et la lumière du jour l’éblouit un peu, si bien qu’il fronça les sourcils, avant de reconnaître les trois gaillards qui lui avaient apporté le cadavre d’un ivrogne deux semaines plus tôt. « M’seigneur Crowley, on a trouvé ça c’matin dans une ruelle, ça respirait pu’ alors on s’est dit que p’t’être ça vous intéresserait. Ça vous intéresse dites ? » demanda un des trois hommes. De toute évidence, le plus courageux, puisqu’il avait déjà pris la parole la dernière fois. Eugene baissa les yeux vers le paquet qu’ils tenaient et haussa les épaules. « Pourquoi pas, suivez-moi, » dit-il avec un signe de main.
Exactement comme deux semaines plus tôt, les trois types se regardèrent et déglutirent avant d’enfin consentir à poser un pied dans l’enceinte de la vaste demeure. Ils suivirent Eugene sans poser de question qui les guida jusqu’à son laboratoire. Là, ils ne se firent pas prier pour déposer leur fardeau sur une table. Rapide, le jeune homme leur jeta trois pièces, une pour chacun d’entre eux et ils le remercièrent à l’aide de courbettes ridicules avant de s’éclipser en vitesse, Erik veillant bien à ce qu’il quitte la demeure. Le majordome entra dans la pièce : « Dois-je comprendre que monsieur prendra son petit-déjeuner ici ? » demanda-t-il avec un regard pour le sac dans lequel se trouvait le futur « cobaye » d’Eugene. Le jeune homme ne put retenir un sourire et acquiesça. Aussitôt, Erik quitta la pièce, le laissant travailler tranquillement. Eugene attrapa un des tabliers accrochés au mur et l’enfila afin d’éviter de tâcher ses vêtements. Il entreprit ensuite de retirer le large sac afin de découvrir la chose la plus étrange qu’il ait jamais vue. Un tas de gens différents étaient passés sur cette table. Des Comtes, des Prêtres, des Marquises, des ivrognes et des mendiants. De belles gens, et des personnes d’une laideur affligeante. Mais ce qui se trouvait désormais sur sa table, Eugene ne parvenait pas à définir ce dont il s’agissait. Une masse de cheveux qui ne ressemblaient plus à rien, des cicatrices, une peau semblable aux écailles d’un reptile, une pâleur effrayante et une maigreur qui donnerait le tournis à Rosaline. Ce qui se trouvait là n’était pas – ou plus – réellement humain, Eugene en avait conscience. Il lui parut logique que la créature qui se trouvait là n’était pas née ainsi, ses nombreuses cicatrices en témoignaient. Il se surprit également à imaginer comme elle aurait dû être.
L’embaumeur resta ainsi immobile, à observer le cadavre. C’était comme si la vie l’avait quitté depuis des semaines déjà. Elle avait tout du squelette et plus rien d’humain. Eugene soupira doucement, un léger pincement au cœur en songeant à la vie que cette créature avait dû avoir, puis il s’empara d’une de ses lames. A en juger par l’apparente rigidité de sa peau, ça n’allait pas être évident. Lorsqu’il vit la poitrine de la morte se soulever un peu, Eugene ne s’en formalisa pas, après tout, les gaz devaient s’échapper et il n’était pas rare que par conséquent, la poitrine des cadavres bouge encore un peu. Aussi se mit-il à siffler un vieil air que le Père Lawford chantait lorsqu’il revenait de la ville, après quelques boissons alcoolisées, et enfonça la lame dans le torse rigide da la femme. Si une poitrine qui se soulevait n’était pas inquiétante, un œil qui s’ouvre brusquement l’était largement plus. Sous la surprise, Eugene relâcha la lame qui vint tomber sur le sol dans un tintement sonore et en oublia toute son éducation : « Fichtre et foutre ! »
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